La vie des Bâuls
samedi 8 octobre 2005

par Arkhghan


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Arkhghan : Il faut peut-être préciser que les habitants du Bengale sont les Bengalis et que les Bâuls forment une sorte de tribu ayant refusé d’appartenir à une caste. Ils sont donc hors caste et renonçant. Ceci a pu favoriser votre intégration.

Sadhinata  : Oui, de plus parmi eux, on peut aussi trouver des soufis éventuellement. Cela m’apparaît maintenant tellement naturel. Je suis vraiment dans ma famille Bâule ! . Dans le petit ashram que nous avions construit, je suis considérée comme Anna Mâ Bâul, c’est encore un autre nom. Voyez, j’en ai beaucoup ! Mère Anna, c’est ainsi que je suis appelée dans ce petit coin de paradis de Paruldanga, c’est vraiment exceptionnel !

Arkhghan : Exceptionnel, oui, mais quelle est la vérité quotidienne des Bâuls ?

Sadhinata  : C’est la mendicité par le chant soit dans le petit village, soit chez les gens plus fortunés où ils vont. La vérité, c’est d’aller dans ces petits villages dans un rayon d’environ 25 kms d’où ils sont et où ils sont attendus comme les Bâuls sont attendus, c’est-à-dire la plus grande chose qui peut apporter l’oubli de cette pauvreté. Ils offrent leurs chants d’amour pour leurs frères en attendant de quoi vivre et manger. Et j’ai partagé cette expérience unique.

Arkhghan : Comment personnellement avez-vous vécu ces tournées ?

Sadhinata  : J’ai constaté la préparation, la joie de ces Bâuls qui chantent et qui dansent et qui permet au village de se réunir, 100/ 200 personnes, heureux d’écouter des poèmes et de pouvoir manger quelque chose de chaud dans la nuit.

Arkhghan : Si les Bâuls ne sont pas un peuple, est-ce une religion ?

Sadhinata  : Non, car, excusez-moi ce mot entame la liberté. C’est une philosophie qui reconnaît que le Dieu est en l’homme. Ils savent, et d’ailleurs le Christ a dit aussi : "Vous êtes des Dieux"... ils ont la certitude que chacun a en soi le cheminement qui doit nous amener progressivement à la Perfection, puis à la Libération. Ce n’est pas une religion, ou du moins toutes les religions peuvent avoir cette philosophie basée sur la philosophie spirituelle.

Arkhghan : Quelle est l’origine de cette philosophie ?

Sadhinata  : Elle a débuté au XIe siècle à l’époque de Chaïtania. C’est là que débutent les chants, les prières, la poésie et les danses.

Arkhghan : Comment annoncent-ils leur foi ?

Sadhinata  : Ils sont d’une pudeur totale. Ils sont soit plus Vishnouïstes soit plus Shivaïtes mais le Bâul, de toute façon, c’est un chanteur de poésie d’amour, de prière. Ils ne vous parleront de leur foi intime que si vous êtes intimes avec eux. Ils ont chacun leur Ishta Devata, leur dieu préférentiel. C’est merveilleux ! Ils savent que le travail est individuel, que l’on est seul envers et contre tout, et qu’on doit marcher, jusqu’au bout, et que le jour où l’on sera au bout, on sera seul devant l’éternité.

Arkhghan : Donc contrairement à ce qui peut être fait dans d’autres groupes, la divinité choisie n’est pas ostentatoire, il n’y a pas de signe distinctif qui montre qu’on est Vishnouïste ou Shivaïste.
Cela va même plus loin car vous ne m’aviez pas raconté lors de nos échanges, avant cette présente rencontre, à quel point il est curieux d’observer leur respect et leur tolérance envers les différents cultes... : Quand ils passent devant une église, ils se signent.

Sadhinata  : C’est vrai, c’est vrai ! Et de toute façon, le Catholicisme ou le Christianisme en Inde existe et ils ont un respect total pour toute l’histoire du Christ. Ils sont vraiment adorateurs du Dieu quel que soit son nom...
Comment voulez-vous que je ne prenne pas un nom comme Sadhinata quand il exprime cette liberté spirituelle ?

Arkhghan : Vous me disiez aussi que c’est dans les temps forts d’adoration lors des festivals religieux Hindous que l’on peut découvrir l’extériorisation de leur foi à Shiva, à Vishnu, Rama ou Ganesha.

Sadhinata  : Oui, c’est à ces occasions-là qu’ils vont mettre la marque horizontale ou verticale sur leur front ou sur leur nez.

Arkhghan : Verticale pour Vishnu et horizontale pour Shiva. Mais est-ce que la communauté Bâule est hiérarchisée, organisée en fonctions, en titres ?

Sadhinata  : Bien sûr, il y a ce qu’on appelle les maîtres ou Gurus. Il y a le "pujari" qui a pour vocation de préparer les temples pour les cérémonies. Pour donner un exemple de comment les choses se font : dans notre petit ashram, je vous ai dit que nous avions construit un petit temple au shiva lingam en forme de tour, pour ce faire, nous nous sommes réunis sans mots d’ordres, mais par le feeling et la dévotion à Shiva. Le pujari lui, vient et prépare pendant 7 heures tout ce qui doit être nécessaire à la cérémonie. C’est extrêmement sérieux puisque par exemple il faut exactement 108 éléments, que ce soient les bouts de bois coupés pour un feu rituel, que ce soient les mantras, dans mille détails, le chiffre 108 est très important, et il faut 7 heures de préparation.

Arkhghan : J’ai été frappé, Sadhinata, en vous voyant,

en regardant les photos de votre coin de paradis, en regardant ensuite vos tableaux et même en découvrant votre intérieur, chez vous, par l’omniprésence de la couleur orange des Bâuls. Pouvez-vous nous en donner la clé ?

Sadhinata  : Absolument, les Bâuls sont en orange ! Ils ne sont pas du tout en orange comme les Sadhus... d’abord, ce n’est pas le même orange, c’est un orange plus vif, c’est un orange qui veut dire quand même renoncement, car à leur nom s’ajoute le mot Das qui veut dire renonçant. Anando Das Bâul, Wishvanath Das Bâul, Shudir Das Bâul, ce sont toujours des noms qui veulent dire "renonçant".

Arkhghan : Et vous avez porté cet orange parmi eux...

Sadhinata  : Cela a été pour moi un immense privilège, non pas sous la forme du sari, car je ne le porte pas...

Arkhghan : Pourquoi ?

Sadhinata  : A cause de la liberté de mouvement, tout simplement. Quand on doit monter en moto, je trouve ça vraiment très compliqué. J’ai été habillée tout le temps avec de grandes tenues masculines, avec la grande tenue orange et le pantalon blanc. Et cela m’a permis de fraterniser avec tous ceux que je croisais et qui malgré ma peau blanche n’ont pas eu à hésiter une seconde pour m’intégrer dans tous les cercles à droite ou à gauche.

Arkhghan : Pouvez-vous tout de même préciser ce qui, outre la teinte orange, différentie les Bâuls des Sannyasins

Sadhinata  : Ce sont des tuniques, non pas la robe orange des moines et ce ne sont pas non plus des drapés. Leur vie est totalement différente.

Arkhghan : Merci de cette précision. Ceci m’amène à une autre question. Les Bâuls sont parfois réputés pour leur grande liberté y compris du point de vue des mœurs, de la recherche des plaisirs, ce qui est le contraire du renoncement. Est-ce que certains partagent les voies tantriques ?

Sadhinata  : La femme d’un Bâul est avant tout la Mère de la famille. Si elle est musicienne, elle accompagne son mari dans ses concerts avec ses enfants. La voie du tantrisme est très complexe pour nous autres occidentaux qui visualisons avant tout la sexualité et les jouissances physiques. Il s’agit de l’unité avec le Principe Divin, entre le masculin et le féminin, Yoga, l’Unité de Shiva-Shakti. C’est une philosophie évolutive pratiquée comme une sadhana( effort d’ascèse spirituelle). La femme, l’épouse est avant tout la Mère et n’est pas forcément la Shakti comme principe féminin ou la féminité qui équilibre la virilité dans l’union divine.
Il y a un cérémonial dans le tantrisme : chants, mantras, pranayama, partage du "shilum". Tout cela nécessite les instructions d’un Maître authentique. Il y a un très beau livre de Pierre Feuga " Le tantrisme " qui peut documenter les chercheurs.

Arkhghan : Merci Sadhinata, le livre de Pierre Feuga, en effet, fait autorité en la matière. Je crois comprendre dans votre réponse qu’il faut se poser la question : " Qui est vraiment Bâul ? " Attendu que l’on compare parfois les Bâuls aux gitans, je me demandais s’ils sont aussi itinérants, s’ils se déplacent à travers le Bengale ou en dehors.

Sadhinata  : Maintenant on ne les croise pas uniquement au Bengale mais c’est une toute petite quantité que l’on retrouve en Europe ou ailleurs. Le public souvent fait revenir les mêmes groupes. Mais attention : beaucoup se font passer pour Bâul, mais, encore une fois, qui est vraiment Bâul ?

Arkhghan : Là, cette fois, c’est vous qui posez cette question à laquelle je ne saurais répondre. Est-ce donc que la tradition perd de sa pureté en s’exportant ?

Sadhinata  : Si les Bâuls arrivent à changer leur musique, changer les rythmes, s’ils viennent en occident et sont envahis par les besoins d’un matérialisme qu’ils ne connaissaient pas, c’est peut-être la vie, l’évolution. Mais il me semble que plus on la retardera cette évolution, mieux ça vaudra.

Arkhghan : Chère Sadhinata, je suis bien d’accord avec vous et c’est justement pour cela qu’après avoir pris connaissance de votre expérience j’ai eu envie, pour ma part, de faire quelque chose afin que se conserve votre témoignage qui nous parle d’un monde qui est peut être en train de disparaître.

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Les photos de ses tableaux ainsi que les photos du village Bâul sont reproduites avec l’aimable autorisation de Sadhinata.

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