Avez-vous une représentation visuelle du dogme, du mystère chrétien de la Trinité ?
Difficile, n’est-ce pas ! Pour les chrétiens, Dieu « trois-en-un » est un concept, pas vraiment une image...
Et pourtant, la Trinité a été imagée !
La statuaire bretonne s’y est illustrée avec courage, avec beauté.

- Trinité de Dirinon

- Trinité de Commana
Oh ! la difficulté n’est pas de représenter la colombe de l’Esprit Saint (qui dans presque toutes les représentations, surplombe le Père et le Fils, à la verticale), car là, on est dans le symbole.
Ce symbole existe même chez ces unitariens purs et durs que sont les musulmans : dans le Coran, le Saint Esprit (al ruh al qudus) a pour équivalent l’archange Gabriel (Jibril) : médiateur de la parole de Dieu.
Non, la difficulté est de « personnaliser » le Père et le Fils !
À la cime du fameux retable de Commana, Dieu-le-Père est un roi barbu, coiffé de la tiare, et il porte un Christ tout juste mis au tombeau : ses yeux sont fermés, sa trace d’humanité s’est rigidifiée dans la mort du corps. Le Père témoigne du sacrifice du fils.
Dans de nombreuses chapelles de Basse Bretagne, on retrouve cette expression, solennelle et poignante « Je vous ai donné mon fils, il a souffert pour vous. ».
Rien de tel à Notre Dame d’Avaugour.
Le Père et le Fils figurent dans la partie haute du « sacraire », ce meuble qui sert à ranger les objets sacrés : bannières, reliques....

- Chapelle d’Avaugour
Vues de loin, les deux silhouettes ressemblent à celles de Commana ou d’ailleurs...Mais de près ! Zoom avant sur les visages, voyez la différence ! Le Père est vêtu de la Pourpre royale, il porte dans ses bras le corps nu du Fils.
Curieusement, le fils n’a plus vraiment sa couronne d’épines, elle est devenue somptueux diadème d’émeraudes, ou de figues de barbarie : mais on devine le nectar sous les épines. Les deux figures se ressemblent. Les deux « hommes » ont le même âge, les mêmes cheveux, la même barbe. Et surtout, le même regard.
Non, le Fils, le Christ, n’a pas les yeux fermés. Il est vivant. Le Père et le Fils regardent fixement dans la même direction. Ils ne vous regardent pas, vous, en face, les humains visiteurs. Ils regardent vers le haut une même réalité qui nous échappe peut-être, mais vers laquelle pourtant ils attirent notre attention.
Ils regardent le Un, la Source. Ils demeurent encore quelques peu sur le seuil de notre réalité terrestre, juste le temps d’être perçus séparément. Mais ils sont en train de disparaître de cette image qui les a un temps matérialisés à nos yeux.
Déjà, ils ne sont plus deux. Ce double regard se fond, et la colombe du Saint Esprit nous le fait voir, car dans cette direction, elle s’apprête à s’envoler, à nous montrer la lumière dont elle vient et où elle va.
Dieu se contemple lui-même et nous aspire dans sa contemplation.
C'est le mystère qu'accomplit cette œuvre simple.
On croirait lire Ibn Arabi :
« Quand se révèle mon Bien-Aimé,
Avec quel œil le vois-tu ?
Avec son oeil, non le mien,
Car nul ne le voit sauf Lui »
Pour découvrir une nouvelle énigme sur les routes de la Tradition...