A notre plus jeune âge, dans l’espace fermé de nos petits copains d’enfance, nous affrontons la vie en pays bien connu et formons avec eux des échanges aux termes convenus. Je vis ce que tu vis et parlons le même langage. Je ne crains pas de paraître à tes yeux tel que je suis puisque toi aussi, usant des mêmes stratagèmes, tu avances et rencontres, comme nous tous bienheureux camarades, les joies de nos féeriques histoires. Ainsi, sûrs de nous, en totale confiance, nous jouons en toute liberté dans la vivifiante lumière du matin.
Voilà que le futur adulte, en nous, nous pousse vers d’autres cieux et quittant peu à peu le cours de notre enfance, nous allons plus ou moins chacun vers notre monde, attirés par de nouveaux paysages qu’il nous plait d’explorer. Les moments si heureux de nos jeux familiers laissent alors la place à des désirs plus intimes et secrets. Et l’autre, si différent de nous, que l’on raillait entre nous en passant, nous attire pour découvrir à deux la douceur d’un serment ou l’amertume d’un adieu. Monde très entier de notre adolescence, tu nous fais oublier toutes règles surfaites à nos yeux. Forts de la découverte de cet autre nous-mêmes, nous laissons là parents et autres directeurs de conscience pour montrer à chacun que nous avons le choix de notre destinée. Le cœur empli de la lumière de midi, nous jetons sur le monde un vrai regard d’envie.
Ainsi fortifiés par les joies de l’amour partagé, nous construisons nos rêves à tâtons, par touches successives, en veillant bien à rester attaché à l’âme sœur trouvée. Nous pouvons, alors, mettre à profit nos forces et convertir en biens nos efforts et nos peines pour connaître la douceur d’un foyer confortable et garant de notre lendemain. Tous les jours nous apportent leur lot d’apprentissages du bonheur et aussi, parfois, de quelques dérapages qu’il nous faut apprécier et convertir en points de repère et de gages de vraie solidarité. Et, si, nous aimant bien l’un l’autre, nous pouvons pardonner, nous connaissons alors la vraie valeur du don de soi à l’autre. C’est en découvrant nos faiblesses que l’on devient plus forts et que l’on peut regarder l’autre en face et se savoir aimé. Les épreuves gagnées sur nous mêmes ont assagi nos coeurs et nous font remercier, tous les jours, le ciel de nous avoir comblés de ses innombrables bienfaits. Le soleil de cette après-midi nous fait baigner dans la douce lumière de l’or que sont tous nos acquis patiemment engrangés.
Alors vient un jour à notre esprit l’insolite question de notre identité. Paraphrasant le philosophe ancien par un quelconque « Que suis-je ? », nous cherchons à savoir qu’est-ce qui, en nous, anime un esprit et un cœur. Serait-ce uniquement une sourde agitation cellulaire qui crée par sa propre densité une énergie générant la pensée ? Y aurait-il, ici, dans ce monde, une autre vérité que le naturel épanouissement de la matière en une conscience humaine ? Commence, alors, pour nous une volontaire et insatiable recherche. Tous les jours consacrant un temps particulier à explorer les écrits mystérieux de quelques penseurs éclairés, nous ouvrons notre esprit à cette dimension intérieure de notre être, jusque là négligée, et percevons, peu à peu, la nature de la voie de sagesse que notre âme reconnaît. Ainsi, tout doucement guidés, par le hasard peut-être, nous est proposé, par quelque proche ou ami apprécié, de nous joindre à une noble communauté de pensée. Brisant les dernières résistances des doutes d’un mental toujours prêt à rester en arrière pour ne pas affronter l’inconnu et la peur de nous être égarés, nous nous promettons de veiller à respecter tout ce que nous avons fait nôtre et à conserver en toutes circonstances notre totale liberté. Pour nous va s’ouvrir une capacité nouvelle. Notre être tout entier se prépare, en ce début de soirée, à connaître après un temps, encore, d’une troublante obscurité, le partage, la joie et la paix de l’accueil à la lumière de l’indicible et insondable vérité.

Plus tard, au soir d’un temps souvent trop court à nos yeux, nous regardons le chemin parcouru et revoyons, peut-être, les moments que nous avons perdus à courir après l’ombre, ne sachant pas encore que seule la lumière que l’on fait naître en nous est le reflet de l’Etre et qu’il nous appartient de lui donner vie et force pour, en toute humilité, retrouver en une ultime initiation la place dans la pleine lumière que nous n’avons jamais quittée.
|