Vouloir s’exprimer par des concepts sur le chemin de Compostelle me paraît saugrenu...
J’ai l’impression de vouloir m’attarder et faire digression sur une idée toute simple aussi simple qu’une Initiation Traditionnelle... C’est vouloir apprendre à chacun la conjugaison du verbe Aimer... !
Les mots sont difficiles quand ils doivent exprimer la vision du cœur... Exactement la même difficulté que peut rencontrer un vieux Franc-Maçon qui doit parler de son cheminement et de sa spiritualité. Les mots sont pauvres et nous savons tous que la transmission utilise le plus souvent la forme, mais le fond, le vrai secret est incommunicable... À chacun son cheminement...
Je suis maintenant convaincu qu’il n’y a qu’une seule initiation. Mais pour ça, il nous faut la chance de découvrir l’essentiel comme l’exprime Kalou Rimpoché « l’or de l’éveil est dans le sol de notre esprit, mais si nous ne creusons pas, il reste caché »... Alors nous pouvons nous permettre d’être initié/initiant, de découvrir l’Unicité et de se savoir IL et ELLE... !
Il est difficile de parler de ce nomadisme retrouvé et de ce départ sur le chemin tous les matins. C’est une provocation pour la raison, c’est un mélange curieux pour l’effort physique d’un corps pas encore dans le rythme et du plaisir intellectuel d’être là pour aller voir ailleurs. Le tout s’associant à la peur toujours présente...
Il y a trois degrés dans l’initiation. Le Camino lui aussi se déroule en trois épisodes : il y a d’abord l’apprentissage du corps et de ses possibilités, il faut l’écouter, le ménager et apprendre avec humilité. Ensuite commence le vrai voyage, la douleur peut s’oublier, s’estomper, le regard du cœur s’ouvre à soi et aux autres. Ce Camino peut alors se terminer au « bout du monde » à Fisterra, trois jours de marche après Saint-Jacques pour atteindre la pointe la plus extrême de l’Europe, au bord de la mer. Au pied du phare qui est là, il y a la reproduction en bronze d’une paire de chaussures semblable à celle que portent les pèlerins. La tradition veut alors que le vieil homme, devenu pèlerin initié, y brûle ses oripeaux devenus inutiles... C’est une mort symbolique pour une renaissance vers l’universelle sensibilité, celle qui nous permettra de croiser et comprendre tous les regards du monde...
Le Camino reste au fond de mon cœur comme la nostalgie de l’éveil à une spiritualité qui se conjugue avec la douleur et la sensualité... ! ! ! Je sais maintenant pourquoi certains reviennent sur ce même chemin de nombreuses fois... Je crois même savoir pourquoi des moines ou des sœurs peuvent trouver le bonheur dans un état et des conditions de vie que le profane n’est pas capable d’appréhender... Je n’ai rien d’un mystique et pardonnez cette dernière remarque qui peut paraître un peu théâtrale et présomptueuse, mais il faut faire un jour la démarche du temps, de la douleur et de l’Amour sur le Chemin de Compostelle. La spiritualité de chacun prend alors des cheminements insoupçonnables...
Il faut faire le chemin en une seule fois et seul de préférence. (Tous les cheminements initiatiques se font seul). En une seule fois parce que la composante temps est très importante pour que l’alchimie opère : durée, souffrance, spiritualité agissent et la solitude permet paradoxalement de retrouver une grande ouverture aux autres...
Notre recherche du juste milieu devrait être un objectif constant dans notre vie de tous les jours. Le chemin en est aussi l’apprentissage après la reconnaissance de soi autant du point de vue physique que psychologique. Nous parlons souvent du "lâcher prise" des bouddhistes, mais il est peut-être bon parfois de laisser vivre ses émotions, l’expérience de la souffrance intellectuelle ou émotionnelle est source de compassion pour comprendre les autres.
Faire seul le Chemin de Compostelle provoque un conditionnement inhabituel, tout semble plus vrai. Nous découvrons le temps et la nature pour seule compagne et le masque social se décompose... Je pense à Arturo rencontré sur la via de La Plata. Nous nous sommes côtoyés une seule soirée, mais très vite il s’est passé quelque chose, nous avons parlé, parlé, parlé, du Camino en exprimant la même chose, nous avons en quelque sorte communié de la même initiation... !!! Nous savons tous que quelques heures suffisent parfois à deux hommes pour se reconnaître avec le cœur...
Je pense à Andréas (l’Allemand), à Mike (l’Américain du nord) et moi le Français, nous refaisions un monde de fraternité avec beaucoup de facilité et de connivence. Ce soir-là, la vie nous a offert un moment d’universalité, demain, dans un mois, dans un an, ces instants provoqueront le désir incontrôlable de les retrouver. Je reprendrai alors ma mochila pour jouir d’une utopie qui semble réalité quand l’amour des uns pour les autres prend sens ...
Nous faisons souvent un effort dans notre vie sociale pour atténuer les réactions de l’homme animal, ici sur le Camino les sens retrouvent une place que nous avons oubliée... Le cœur, la raison, la douleur sont une trilogie qui en s’associant au temps donne une alchimie vers la « connaissance ». L’homme civilisé a un peu oublié cette démarche ...
Oui, j’ai tutoyé ce qui pourrait être une belle utopie, ce chemin de Compostelle laisse entrevoir ce que pourrait être une société basée sur la Fraternité. Il y a là encore un parallèle évident avec un cheminement maçonnique : une première partie est la découverte de soi par les sens, une forme d’introspection sur son propre corps qui permet au profane de se découvrir avec humilité... Cette phase est importante il y a danger pour celui qui ne dominera pas son ego... Une dizaine de jours passés, le corps et sa souffrance s’estompent et alors tout peut arriver...
Cette solitude est pour moi une nécessité et malgré le nombre important de pèlerins sur le chemin, c’est toujours possible. C’est une attitude que beaucoup de personnes ne comprennent pas, d’autres qui croient parfois bien me connaître, l’expliquent encore moins. J’ai également beaucoup de mal à communiquer sur le sujet... Comment expliquer que ce cheminement sur des centaines de kilomètres donne aussi des moments lumineux... ? Des moments fugaces de félicité où tout semble à sa place, des moments de grâce où le grain de sable que je suis ne pense plus à rien, des moments lumineux où tout l’être semble être intégré et à sa place dans le cosmos. Il est assis ou il marche, il est en pleine nature et il a la sensation forte, incommunicable, d’être partie intégrante d’une harmonie universelle... Il prend conscience de la totalité de son être par la fatigue de son corps, de sa présence d’esprit et des palpitations de son cœur... Alors synchronisme et harmonie deviennent des mots connus... !
Il n’y a pas de mysticisme dans ces paroles, mais c’est une des explications de cette répétition, d’année après année, de ma présence sur le Camino... De retour dans le monde, que j’ose dire « profane », je garde au fond de moi ce désir constant de retrouver ces moments de plénitude...
Vous dire que pendant ces voyages, il m’est arrivé d’éclater en pleurs sans savoir pourquoi, c’est de l’impudeur et certains diront c’est de l’exaltation, mais moi je sais et je ne ferai pas de commentaire sur ce sujet...
Beaucoup parlent de la promiscuité dans les refuges du Camino. Je trouve ces mélanges très instructifs sur la nature humaine et sur ce que nous sommes. Il y a un nivellement des valeurs sociales habituelles qui demande à tous une adaptation et qui interroge beaucoup sur la tolérance ! L’humanité est idéalisée par le Chemin de Compostelle et elle apparaît un peu plus belle. Nous nous voyons les uns les autres à travers le filtre du cœur en oubliant les différences sociales et surtout en oubliant la compétition. Le masque tombe plus facilement, le vrai se fait jour, l’ego se met en sommeil...
J’ai découvert sur le chemin une spiritualité du cœur sans présent ni futur et même sans raison.(Ici et maintenant) C’est un état naturel, presque guidé par un instinct qui ne peut avoir comme origine que LUI... De ce LUI mes amis vous en faites ce que vous voulez, il est mon jardin secret, il est le vôtre, il est le nôtre... C’est notre Grand Architecte de l’Univers...
Mes péripéties vers Compostelle peuvent se résumer très simplement en une phrase : « Le but n’est rien, il est peut-être inconnaissable, mais le chemin est le tout ». Encore une phrase qui peut s’adapter conjointement au chemin de Compostelle et au dessein maçonnique. Il se déroule, avec dans notre sac à dos, toutes nos peurs : peur d’avoir faim, peur d’avoir soif, peur d’avoir froid, mais aussi peur des résonances psychologiques que ce long cheminement nous fait découvrir...
Mes amis,
Ne lui donnons pas de nom, simplement IL EST et à la lecture de mes petites histoires, qu’IL vous donne l’envie de l’aventure...
L’histoire humaine d’un cheminement initiatique est incommunicable, les mots sont toujours de trop. Ceux que j’ai utilisés pour vous donner un aperçu du Camino de Santiago sont du même ordre, ils sont pauvres, ils ne pourront vous exprimer le lumineux résultat du mariage de la solitude, de la douleur, du temps et de l’Amour...
Pour tous les hommes, peut-être, mais sûrement pour vous mes amis qui m’avez accompagnés, je vous souhaite du plus profond de mon cœur de prendre demain, dans un an ou dans dix ans, le temps de faire seul le chemin de Compostelle. Il restera en vous un souvenir : la réalisation de votre chef d’œuvre...
« La croix et les chrétiens, d’un bout à l’autre, je les ai examinés. Il n’était pas sur la croix. J’allai au temple hindou, à l’antique pagode. Là non plus aucun signe. J’allai sur les hauteurs de l’hérat et à Kandahar. Je regardai. Il n’était pas sur les hauteurs ni dans la plaine. Résolument je montai au sommet de la montagne du Kaf. Ne s’y trouvait que l’oiseau Anqa. J’allai à la Kaaba. Il n’était pas là. Je posai des questions à son sujet à Ibn Sina : il était par-delà les limites du philosophe Avicenne... Je regardai dans mon propre cœur. Je le vis là, à sa place. Il n’était nulle part ailleurs » Rumi
Merci à LUI...