Arkghan : Je vais changer de sujet et revenir cette fois à Raymond Bernard et aux rites Maçonniques car je reste un peu sur ma faim de compréhension et de Connaissance. Raymond Bernard a pratiqué le Rite Ecossais Rectifié d’inspiration templière. Comme vous l’avez bien connu, pouvez-vous nous dire s’il s’est inspiré de ce rite pour mettre au point les techniques rituelles des différents Ordres néo-templiers dont il a été le fondateur ?
Jean-Pierre Bayard : Le Rite Ecossais Rectifié est beaucoup plus chevaleresque que le Rite Ecossais Ancien et Accepté et ce rite s’inspire d’une survivance templière. Raymond Bernard initié à ce rite chevaleresque ne se place certes pas dans la descendance des templiers, mais il y discerne une implication commune.
Cette appartenance a dirigé Raymond Bernard vers cet esprit chevaleresque templier mais en outre et de façon générale la Franc-Maçonnerie a apporté à Raymond Bernard la rigueur, l’organisation et la tolérance maçonnique.
Arkghan : Et discrétion oblige, beaucoup ignoraient ou ignorent encore que Raymond Bernard a fait un important chemin dans la Franc-Maçonnerie. Qu’est-ce que la Maçonnerie lui a certainement apporté selon vous ?
Jean-Pierre Bayard : La Maçonnerie est une organisation très directive, une organisation très stricte avec des bureaux et une structure très stricte, elle a sa justice propre. En fait quand l’Ordre de la Rose-Croix AMORC débute en France sous l’impulsion de Raymond Bernard, l’initiation se faisait chez soi. Chaque individu, dans son sanctum, se regardait dans une glace pour s’élever spirituellement grâce à des brochures lui permettant un travail spirituel.
Arkghan : L’auto-initiation ne serait pas valable selon vous ?
Jean-Pierre Bayard : L’initiation par soi-même peut se faire. Il y a des groupes comme ceux d’Aleister Crowley par exemple qui se font par une initiation par soi-même, mais il faut déjà avoir une forte personnalité. Or je ne pense pas que le recrutement de l’AMORC permettait à chacun d’avoir le pouvoir et les connaissances de pouvoir s’initier par soi-même qui reste le plus souvent une émulation. Et d’ailleurs maintenant l’AMORC procède à des tenues rassemblant ses membres dans un temple décoré symboliquement.
Arkghan : Oui, je pense que c’est toujours une école dont les portails sont plus faciles à ouvrir que ceux de la Franc-Maçonnerie au début, mais comme dans toute voie authentique, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus.
L’initiation est toujours une école de patience, dans les hauts degrés les Rosicruciens se comptent parmi le petit nombre de ceux qui y sont parvenus. En quoi Raymond Bernard a-t-il pu bénéficier, selon vous, de son affiliation Maçonnique au cours de sa mission dans la Rose-Croix ?
Jean-Pierre Bayard : Raymond Bernard a tout organisé ; il a créé temples, ornements, décors, rituels. Il était resté dans l’esprit Maçonnique. D’ailleurs, il y a une quinzaine d’années pour moi, il m’a demandé de le réintégrer, mais cette fois à la Grande Loge de France où le Rite Ecossais Ancien et Accepté a moins d’apport chevaleresque.
Arkghan : Il y en a un tout de même ?
Jean-Pierre Bayard : Oui, dans les hauts grades, mais beaucoup moins que dans le R.E.R. qui se termine par un grade de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte. Il s’agit véritablement d’une ordination chevaleresque ; c’est un adoubement qui est à peine Maçonnique.
Arkghan : Si je comprends bien votre réponse, Raymond Bernard a pu s’inspirer de son initiation Maçonnique non seulement pour les Ordres chevaleresques qu’il a fondés mais pour l’ensemble de son travail d’organisateur au sein de ces structures et de celles qu’il a animés ?
Jean-Pierre Bayard : Il est indéniable qu’il a été influencé par la Franc-Maçonnerie.

Arkghan : Il est curieux d’observer que Raymond Bernard est entré à la Grande Loge de France après avoir fondé le CiRCES et l’OSTI alors que cette Obédience Maçonnique a comme vous le dites une note moins chevaleresque, ce qui peut témoigner de sa fidélité au fond à l’initiation Maçonnique.
Et comme il s’est retiré assez tôt de toute direction dans ce dernier mouvement qu’il avait créé, il y a peut-être un message de retour à une certaine simplicité, un besoin qu’il a pu éprouver à la fin de sa vie alors que, pour les raisons et à cause des tragiques affaires que nous connaissons et que nous n’évoquerons pas ici, ce grand serviteur discret de la Tradition s’était trouvé, bien malgré lui, placé sous les feux de la critique et victime des jugements erronés.
Mais il est vrai que nous avons là un sujet ésotérique fort complexe et controversé à savoir celui de l’éventuel héritage initiatique des Templiers.
Vous avez fait une mise au point que je trouve très édifiante dans un article que l’on trouve sur internet en ce qui concerne les filiations templières et la Maçonnerie et plutôt que vous faire redire tout cela, comme nous allons être sur internet, je vais mettre le site en lien pour laisser les lecteur s’y rendre et le lire :
http://www.cgagne.org/.
Je vais seulement citer à la fin de votre article ces deux phrases :
« Il est maintenant démontré, contrairement à une opinion trop répandue, que les Hauts Grades maçonniques, pas plus que les rites maçonniques des trois premiers degrés, ne sont les héritiers directs des Templiers, pas plus d’ailleurs que les nombreuses sociétés profanes qui s’en réclament »
et
« Par contre, l’imaginaire suscite les mêmes transports idéologiques et il n’est pas rare de rencontrer hommes ou femmes, aux pieds plats et à la démarche chancelante, se proclamer appartenir à la noble lignée des chevaliers du Temple... »
Cette dernière phrase m’a follement amusé, car on y retrouve bien votre style, votre côté un peu moqueur par ce trait de satire finalement léger et pas méchant mais très imagé. On comprend tout de suite ce que vous voulez dire surtout s’il nous est arrivé de rencontrer ce genre de « forts des Halles » à qui on aurait eu à dire « Arrête un peu ton char, Ben Hur ! »
Mais au fond il me semble pouvoir dire ceci : Que l’on continue à se réclamer d’une si hypothétique filiation Templière dans les Hauts grades Maçonniques ou dans d’autres organisations n’est peut être pas si important tant que l’on cherche à incarner un véritable esprit chevaleresque et c’est bien dans tous les cas ce que ces différents groupes font de leurs idéaux ou de leurs croyances qui doit être véritablement pris en compte.
Je suis en train de faire une transition vers une question importante que je voulais aborder avec vous, Jean-Pierre Bayard : c’est la question de la liberté de conscience et des sectes.
Je veux saluer votre courage pour avoir pris la défense de la liberté de conscience et d’association en particulier avec votre livre cité dans mon introduction « Le Guide des sectes et des Sociétés secrètes » publié au cœur de la tourmente dans une France en train de revenir aux vieux démons de la chasse aux sorcières. Il y a eu peu de voix à s’élever...
Jean-Pierre Bayard : Mais il y en a eu...

- Collection particulière de J.P. Bayard
Arkghan : Votre livre paru aux éditions Philippe Lebaud en 1997 a-t-il eu l’impact voulu ? Avez-vous été entendu et compris ? Pensez-vous que les choses se sont tassées aujourd’hui.
Pour mémoire pour situer le débat et pour les internautes, je vais citer quelques passages de votre livre :
Vous rappeliez d’une part l’avis donné par le Conseil de l’Europe le 20 Janvier 1992 :
« Les sectes ne sont pas toutes délictueuses ou destructrices. Il faut donc être prudents pour ne pas commettre d’injustices. Nous ne pouvons pas, par exemple, considérer que n’importe quel groupe ayant des croyances non traditionnelles, est une secte avec toutes les connotations négatives que cela suppose et nous ne pouvons pas non plus incriminer un groupe en tant que tel, ou ses croyances, sauf dans des cas très particuliers, mais seulement ses activités délictueuses, dûment démontrées. On ne pourra jamais protéger des droits et des libertés par la suppression d’autres droits et libertés. »
Je cite vos propres mots chargés de bon sens et de justesse :
« On s’étonnera peut-être que dans un livre où les sectes sont minoritaires, j’accorde une place aussi large au débat qui s’est créé à leur propos. La raison tient dans une préoccupation grandissante que je partage avec de nombreux universitaires et écrivains dans notre pays où les associations abondent et où elles constituent un espace de liberté et de fraternité, la mise à l’index d’un certain nombre d’entre elles me paraît aboutir à un climat très dangereux. »
« Ce livre entend présenter un éventail de la pluralité des doctrines qui se basent sur une ferveur, que celle-ci soit critiquable ou non, mais qui prouve que notre monde a besoin de nouer des liens entre le visible et l’invisible, de construire des mythes où se décèle notre désir d’une humanité à la fois diverse et solidaire où tout tendrait vers une certaine perfection. »
Jean-Pierre Bayard, tout est dit... Alors où en sommes-nous maintenant ? Est-ce qu’on a pris conscience qu’on était allé trop loin ?
Jean-Pierre Bayard : Oh oui ! oui ! Je crois qu’on en a pris conscience. Il y a eu beaucoup de personnes à s’insurger. Il y a eu principalement Louis Pauwels.
Arkghan : Il a pris la plume dans le Figaro Magazine, je crois.
Jean-Pierre Bayard : J’ai été très ami avec Louis Pauwels. Il me disait dans une de ses lettres qu’il n’avait pas pu prendre toutes les positions qu’il aurait voulu à cause de ses responsabilités au Figaro Magazine. Il y en a eu d’autres, des professeurs, des universitaires. Il y a eu mon ami le professeur Antoine Faivre. Eliade aussi a reflété cet esprit critique, mais j’ai bien d’autres amis professeurs dans ce cas.
Arkghan : Antoine Faivre qui a soutenu le CESNUR en France, mais ces gens ont eu la partie dure car ils ont été stigmatisés politiquement, quant à Eliade, j’imagine que la cible qu’il était ne lui a pas laissé beaucoup de marge.
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