Les rapports entre la littérature et l’ésotérisme sont toujours difficiles à étudier, car la littérature est alors envisagée dans sa relation avec un objet qui, par définition même, se cache.
Chercher un message ésotérique chez un auteur procède donc toujours d’une hypothèse de base selon laquelle son discours renferme un "non dit" secret ou codé réservé à ceux qui ont des yeux pour lire. Supposer un tel discours chez un écrivain, c’est le soupçonner d’être détenteur d’une INITIATION, d’être gardien d’une CONNAISSANCE dont son oeuvre serait alors pour ainsi dire imprégnée.
Or, que cette GNOSE lui soit parvenue par le canal personnel de son subconscient, comme c’est le cas de certains grands génies, qu’elle résulte de son apprentissage au sein d’un mouvement TRADITIONNEL, s’abreuver à la source de la Divine Sapience c’est toujours parcourir un sentier obscur qui vous dérobe à la vue du commun des mortels. Aussi cette recherche, quand elle est authentique, s’accomplit toujours dans la plus grande discrétion. En période d’obscurantisme religieux ou politique, elle ne peut se poursuivre que dans le plus grand secret.
Quoi qu’il en soit, la nature même de notre sujet requiert l’abandon d’un esprit par trop scientifique, il ne saurait être question pour nous de prouver que Balzac était un initié Martiniste. Les preuves, si elles existent, sont dans les archives des confraternités qui les gardent comme quelque chose les concernant à titre privé, n’ayant cure de l’opinion publique scientifique ou universitaire à ce sujet.
Notre propos est donc plutôt d’offrir une lecture Martiniste de BALZAC et de laisser le lecteur juge de décider si elle est ou non opérante, ayant soin également de rassembler certains indices qui assureront notre légitime esprit critique français que l’hypothèse du Martinisme de BALZAC est plausible. A n’en pas douter, ce travail peut enrichir notre réflexion et notre connaissance à la fois dans le domaine de l’ésotérisme et dans celui de la littérature. L’écrivain héraut du temple ! Notre étude pourrait bien aboutir à une perspective sur la littérature et le rôle de l’écrivain asciomatique, pour ne pas dire idéologique, mais ce terme est hélas trop galvaudé et devenu par là restrictif.
Pour les ésotéristes, les mystiques et philosophes, cette étude sur BALZAC vise à éclairer une prodigieuse illustration de l’illuminisme philosophique. La Comédie Humaine est un remarquable champ d’application de la quête philosophique et fournit beaucoup de clés au chercheur dont il peut faire un utile profit.
Pour les uns, pour les autres et pour tout intellectuel, pourvu qu’il soit ouvert et sans préjugés, BALZAC paraîtra puiser son inspiration à une source qui n’est pas tarie pour l’homme du XXème siècle, tout au contraire. Pour notre part, cette étude nous a révélé un BALZAC plus que moderne aujourd’hui, un Balzac précurseur, voire prophète.
Le lecteur occasionnel de Balzac est bien surpris si on lui dit que celui-ci était un mystique, un passionné de sciences occultes tant l’oeuvre de l’écrivain s’est imposée par son caractère de fresque sociologique, ou par le réalisme, ou par son caractère romantique.
Le fait est que, IDEALISME ou REALISME sont les côtés indissociables du profil psychologique de tout véritable initié et de l’adepte rosicrucien qu’était BALZAC en particulier. L’histoire traditionnelle de la Rose-Croix est très complexe comme c’est le cas des mouvements hermétistes en général, car la nécessité politique du secret dans le passé, ainsi que sa valeur intrinsèque à la pédagogie initiatique conduisent souvent à mêler les faits à la légende. Le voile du mystère est soigneusement maintenu devant le profane. Nous tâcherons néanmoins d’éclairer les aspects historiques pour la période qui nous concerne car, s’il y a influence rosicrucienne sur Balzac, elle s’est manifestée par ce qui à cette époque était connu en Europe comme l’illuminisme Martiniste.
Notre étude va donc commencer par une approche historique de la pensée traditionnelle et des contours idéologiques de ce que l’on définit comme la Tradition. Nous nous pencherons alors sur ces auteurs qui ont constitué pour BALZAC une véritable nourriture spirituelle : J. Boehme, Swedenborg, Martinez de Pasqually et Louis-Claude de Saint-Martin.
Dans une deuxième partie, nous étudierons différents thèmes particulièrement Martinistes évoqués dans la Comédie Humaine. Cette incursion nous conduira principalement dans les oeuvres suivantes : Louis Lambert, Le Lys dans la Vallée, Ursule Mirouët, la Peau de Chagrin, la Recherche de l’Absolu, Melmoth réconcilié, Séraphîta, l’Envers de l’Histoire Contemporaine.
Les sujets analysés dans cette perspective seront :
– les valeurs chrétiennes : la charité, l’inconnu, la solidarité fraternelle dans le concept de l’ami, la souffrance, le principe de volonté.
– une certaine vision : de l’histoire légende, mythe ou utopie ; de la société.
– le surnaturel ou les deux natures de l’homme.
– la science.
– de la recherche du langage angélique à une possible théorie de l’art.
– l’androgynat pour comprendre Seraphîta.
On a dit de Papus, le grand occultiste du XIXème siècle, qu’il était le Balzac de l’occultisme. On pourrait peut-être tout aussi bien dire que Balzac était le Papus de la littérature. En tout cas, c’est l’individu Balzac qui retiendra notre attention en dernière analyse car nous tenterons de déceler quels furent ses liens avec le monde de l’occulte et avec la tradition. Quelles influences directes il a pu subir.
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