Les Bâuls et la musique
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Arkhghan : N’oublions pas que les Bâuls ont une tradition orale et non écrite, pouvez-vous nous en parler ? Sadhinata : Et bien la tradition orale philosophique est aussi celle de la musique, car la musique est entièrement traduite oralement, il n’y a pas de partitions, tout est appris, ils ont une mémoire sensationnelle, pour retenir 250 chants et plus. C’est justement ce qui fait leur force parce que cela développe une espèce de concentration authentique qui ne peut être dispersée par autre chose. Il n’y a que la volonté de dire ce qui n’a pas été écrit et qui est dans leur cœur . Il y a une authenticité qui peut être atténuée par les changements modernes mais... on ne peut pas empêcher le progrès non plus. Arkhghan : On peut donc voir cette musique et ce chant comme un yoga dévotionnel mais qui développe aussi une très grande concentration. Sadhinata : Absolument, mais il faut dire aussi que ce sont eux qui font leurs instruments de musique, de façon très simple, c’est toujours une noix de coco ou un morceau de bois qui accorde inlassablement tous les concerts, une corde qui garde la tonalité. Arkhghan : Quel est l’instrument le plus important ? Sadhinata : C’est l’Ektara, le plus Bâul si on peut dire, qui est emporté par les musiciens quand ils cheminent avec un tambour qu’ils portent attaché à leur ceinture. Arkhghan : Pour en revenir à la tradition orale, elle est essentielle dans l’Inde où une grande place est accordée aux maîtres qui viennent périodiquement vivifier, donner un nouvel élan à la tradition, l’éclairer. Est-ce qu’il y a des maîtres chez les Bâuls ? Avez-vous fait une rencontre unique ? Sadhinata : Toute rencontre est unique. La rencontre du maître et du disciple est quelque chose d’absolument unique. Oui, bien sûr, j’ai eu le privilège de rencontrer un maître et j’ai été préparée à cela par mon premier maître qui lui, n’est plus de ce monde. Je l’ai déjà plusieurs fois nommé. Arkhghan : Pensez-vous que les Bâuls sont plus heureux que nous ne le sommes dans cette vie moderne ou qu’ils sont plus malheureux à cause de la pauvreté ? Sadhinata : C’est-à-dire qu’ils vivent l’instant. Ils peuvent être très malheureux à la mort (fréquente à l’époque des moussons) de quelqu’un de leur famille, mais ce n’est que momentané. On peut leur redonner la joie d’un instant à l’autre. On pense à la prière, on pense au chant, ils oublient vraiment tout, si bien que quand on est avec eux, il n’y a absolument pas de choses à organiser à part les grandes fêtes. Dans ce petit ashram Bâul où une chambre m’est réservée, je m’efforce de prolonger un mode de vie ascétique. Il n’y a pas d’électricité, il y a une pompe à eau, on vit avec la présence des éléments puisqu’on est à la campagne, on peut attendre le soleil, vivre autrement quand le soleil se couche, se réunir sous la véranda pour chanter parce qu’à part des petites lampes à pétrole, on n’y voit pas très clair et c’est le moment de répéter les chants. Tout ça c’est extraordinaire, c’est vraiment la vie. Peut-être que la prochaine fois, il y aura de l’électricité, car il y en a partout, mais je freine au maximum, tout en sachant tout de même que c’est beaucoup de travail pour la maîtresse de maison d’allumer des lampes et de nettoyer les verres. Ce qu’il ne faut pas, et ça malheureusement ça sera, c’est que la télévision arrive dans les villages les plus reculés, et la télévision avec... enfin... les plus mauvais programmes. C’est comme autrefois chez nous quand il n’y avait pas la télévision et qu’on se racontait des histoires au coin du feu. Là-bas, c’est pareil. On n’aura plus le soir les rencontres de musique spontanées où chacun chante sans micro, le plus sincèrement possible ce qu’il a à apprendre, à rechanter pour entretenir sa voix et sa mémoire. Je n’y peux rien... cela arrivera... mais moi je vis encore très près de l’authentique. Arkhghan : La vie avec les Bâuls est une vie de joie ? Sadhinata : Tout est une improvisation de joie, qui peut effectivement être entre la peine et la joie, mais il y a toujours la joie parce qu’il y a le chant. Ils le disent : " Notre nature, c’est la joie ". Arkhghan : Sadhinata, je vous remercie et je vais maintenant formuler ma conclusion avant que vous ne nous donniez la vôtre. Je crois que les Bâuls sont des messagers de paix et de tolérance, car on sait que lorsqu’ils passent, ils apaisent les tensions entre les communautés. Ils sont aussi un exemple de simplicité et vous nous avez fait comprendre cela. Sadhinata : Alors je vais conclure à mon tour avec l’évocation de Rabindranath Tagore. Tagore a 60 ans lorsqu’il est à Paris, au Musée Guimet, c’est en avril 1921. Il fait une conférence sur un sujet qui lui tient particulièrement à cœur : les Bauls. Quarante ans après, en décembre 1961, Philippe Stern fait lui-même une conférence au Musée Guimet, à l’occasion de la commémoration du centenaire de la naissance de Tagore. Cette conférence est intitulée " Le vrai Rabindranath Tagore et le monde des chansons ". Philippe Stern y défend la thèse que Tagore est à chercher bien plus du côté des Bâuls que de l’érudition qui serait celle d’un pandit féru de la connaissance des Upanishad. Il reprend donc la conférence de Tagore où celui-ci reconnaît que son inspiration a été intensifiée par la rencontre des Bâuls. A ce moment-là , en 1921, on avait donné à Tagore le titre de " Plus grand des Bâuls " et c’est vrai, mais je dois avouer que je n’ai jamais entendu mes amis comme Anando le dire. Voici donc pour clore cet échange les mots de Tagore et ceux des Bâuls que je ne peux malheureusement pas vous chanter mais que vous entendrez, j’espère dans la musicalité et la poésie. Ils sont extraits de cet article de Philippe Stern : " Un jour j’entendis par hasard une chanson d’un mendiant appartenant à la secte des Baouls du Bengale... Ce qui me frappa dans sa simple chanson, c’est une expression religieuse qui n’était ni grossièrement concrète et crue, ni métaphysique dans ce transcendant raréfié qu’elle entraîne. Et cette chanson, elle était remplie d’émouvante sincérité. C’était une intense aspiration du cœur vers le dieu qui est dans l’homme et non dans le temple... Depuis j’ai souvent essayé de mieux comprendre ces Baouls à travers les chansons qui sont leur forme de culte.../... J’ai exprimé mon amour pour les chansons Baouls dans nombre de mes chansons et, dans beaucoup d’autres, les airs des Baouls ont consciemment ou inconsciemment été mêlés avec d’autres modes en les modifiant... Les airs et le message des Baouls ont un certain moment absorbé mon esprit comme s’ils en étaient le véritable élément de base. " Et voilà peut être ce qu’il faut retenir de ce message : "Je brûle de jouer avec vous au jeu de l’amour, ô mon amant - "Votre flûte n’exhalerait point sa musique de beauté, si mon amour ne faisait vos délices. |
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Note : Si vous souhaitez entrer en contact avec Sadhinata, la rencontrer à votre tour, elle, son œuvre, pour acheter ses toiles ou l’inviter à les exposer, vous pouvez vous adresser à "La Maison de Ganesh" (3 rue du Pont de Mayenne 53000 Laval) ou par mail en cliquant sur le logo d’Arkhghan ci-dessus. – La photo de Tagore provient du site http://www.satyajitray.org/.
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