Renoncement
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Premièrement : fait de renoncer à quelque chose, de l’abandonner. Deuxièmement : détachement, action de renoncer au monde et à ses biens. Le renoncement des grands sages. Il me revient à l’esprit la sentence sans équivoque d’un bon père jésuite, professeur de français au collège de mon enfance, dans son fort accent du terroir : « Schpèche d’ânes, vous ne pensez qu’aux plaisirs du ventre et du bas ventre ! » Tout était dit et nous de rire. Quelle attention dans ces mains de la mère massant le corps de l’enfant juste né ! Elles écoutent, ces mains, elles entendent, font connaissance avec l’enfant. Elles disent. Disent la beauté, la douceur, chuchotent l’amour. Elles apprennent, enseignent à habiter ce corps, le sentir, l’éprouver, le parler, l’aimer, rencontrer l’autre corps, les autres corps, les sentir, les reconnaître, les aimer. Le père porte l’enfant, le prend par la main, le présente, lui offre et l’offre au monde des hommes. Cette main, si elle est ferme parce qu’elle se veut solide et fort soutien, parle à l’enfant de sa force à venir, de son désir d’aller, d’être. Cette main déjà raconte aussi sa décroissance, son adieu, cette main-là aussi est ouvrante, renonçante. Corps de louange, corps de douleur, corps de joie, corps d’amour, corps de mémoire. Corps qui écoute et qui raconte. La chose est entendue : y renoncer est annoncé, d’entrée de jeu. Ce renoncement sous-entend donc l’idée du choix délibéré de ne pas courir après la richesse, les honneurs, le pouvoir ou tout autre forme de possession terrestre. On pourrait même penser que ce choix implique pour son auteur, ce grand sage, un effort de volonté pour ce séparer de tout désir de ces biens. Hors, est-ce là le véritable détachement ? Renoncer à sa force, renoncer à sa puissance, renoncer à toute emprise sur l’autre, fut-il son propre enfant. Recevoir, accueillir, donner, renoncer. Vis et deviens ! Et voilà que pour devenir, vivre, nous apprenons des choses, des faires, à nous faire une place, à acquérir des biens, du confort, de la sécurité. Nous nourrissons nos désirs, nous faisons notre plein. Et qu’importe que ce plein là soit plus ou moins plein que celui de l’autre puisque nous sommes, de toute façon, insatiables. Je veux plus, je veux tout. Tout embrasser, tout connaître, tout éprouver. Je prends toute la mesure de mes désirs : désir d’amour, désir de posséder, désir de puissance, désir de richesse, désir de richesses spirituelles, je veux Dieu. Rien n’échappe à ma boulimie. Jusqu’à l’écoeurement, l’indigestion, le trop plein, le dégoût. Il peut se faire qu’après de longues années passées en reclus à l’abri d’un calme monastère, le moine accède à une libération de l’esprit et à une paix salutaire de l’âme. Serait-ce là le renoncement ? La course journalière à la satisfaction du quotidien monastique. Oh ! Quelle est douce cette heure de la nuit où l’esprit, immédiatement éveillé, appelle à la prière, au recueillement, à la méditation. Premières heures des vigiles, puis viennent les heures matinales des psaumes et litanies, puis suit l’ordonnancement du jour au sein de la communauté, le partage des tâches, les offices, le repas fraternel dans le silence et l’écoute de l’épître du jour suivi d’un court moment à soi, détente ou rencontre avec l’autre, promenade dans le cloître ou abandon à Dieu dans la joie d’un remerciement sans fin d’être dans la paix intérieure, comblé d’un amour infini. Premiers renoncements : je renonce à l’anorexie, je renonce à la boulimie. Je renonce enfin à renoncer. J’accueille, retiens un instant, dans un silence attentif, et laisse aller. Peu à peu, je perçois le vain, l’inutile. Peu à peu je me perçois sot, insensé, incohérent, limité, fragile, pauvre. Je renonce à m’en plaindre et me reconnais, tout simplement humain. Etrange route que celle de l’homme. Recevoir, retenir, laisser aller. Pour devenir ? On peut penser que ce même moine sans biens ni possessions, est encore attaché à son propre questionnement, à l’importance de sa quête. Alors, peut-on dire qu’il y a renoncement ? Ou bien faut-il que ce grand sage ait accompli, par un don total de son être à Dieu, le contact avec la lumière ? Ainsi, élevé à une vie plus subtile, il connaît la vérité de la conscience et peut se consacrer en toute liberté, c’est-à-dire sans aucun désir de possession au service de Dieu pour le bien de l’humanité. François d’Assise, petit frère mineur, a renoncé aux biens matériels, intellectuels, à être reconnu, à être aimé, s’est abandonné à la Providence, a, dans sa respiration confiante, reçu inspiration, retenu le temps nécessaire à la création d’un Ordre, et puis laissé aller. Il a laissé aller ce qui s’était créé, mis en place par lui, laissé aller même sa règle, manifestation si puissante et claire dans sa simplicité des principes spirituels perçus. Il renonce, renonce, renonce et puis il dit encore que ce n’est rien, pas assez : « C’est en se perdant que l’on se trouve Renoncer à soi pour devenir. Et voilà, c’est pourtant simple ! Tout ça pour ça ! Vous avez dit quoi ? Renoncer à soi ? A qui ? A quoi ? « Qui suis-je ? » Se connaître pour se renoncer. Alors, celui-là, maître de lui-même et de sa vie, choisit de s’immerger de son plein gré, dans la communauté des hommes. Il va vivre avec eux la douceur d’un foyer désiré, la force d’une paternité acceptée, pour vivre la paix de son engagement dans le monde. Il est un renoncement auquel François se refuse, absolument : mais le Très Haut Lui-même... ...dit-il dans son testament. A ce perçu, il demeure imperturbablement fidèle. Qui se souvient du Frère Elie qui le voulait empêcher de chanter sa joie dans le Seigneur parce que si près de la mort ? 3 octobre 1226. Devenir. Ce contact ou vision se réalise dans l’abandon de soi en une communion de l’esprit manifesté dans l’amour divin qui est force créatrice et paix totale. Alors le corps, le mental et l’esprit apaisés, l’âme comblée d’une joie intense est, à tout instant amour de l’autre, service et compréhension. Tout partage, tout don, devient manifestation créatrice et réalité profonde. |
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