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Les Illuminés de la colline, une aventure médicale...
Du maquis à l’humanitaire : le chemin d’un homme
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Du maquis à l’humanitaire : le chemin d’un homme
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Que diriez-vous de votre parcours humain ? Ce que je voudrais tout d’abord dire c’est qu’étant enfant, j’ai vraiment été malheureux, jusqu’à quatorze, quinze ans. Malheureux de quoi ? Malheureux d’être, de me sentir en permanence, vraiment, un salopard. Si je veux donner des précisions, effectivement, c’était l’époque de la guerre, donc avant l’adolescence, entre dix et quatorze ans, à l’école, j’étais tout le temps puni, j’avais tout le temps des mauvaises notes et je faisais peut-être le couillon et je faisais peut-être rire les autres mais moi, intérieurement, je ne riais pas et j’étais malheureux. Malheureux d’être le cancre, le pauvre type. Chez moi, je me sentais le voleur parce qu’effectivement je piquais de l’argent à mes parents, pas pour acheter des drogues, mais c’était pour bouffer du chocolat, pour obtenir des trucs qu’on ne trouvait pas pendant la guerre. Je me pensais vraiment un salaud. Et en plus, la puberté, la masturbation, le gars qui va se confesser quasiment tous les jours... Donc, franchement j’étais malheureux. La guerre m’a rendu service du fait des bombardements (septembre 1943), j’ai été pensionnaire à Angers où je n’étais pas repéré. Bien que toujours nul au point de vue scolaire, je ne faisais plus le con parce qu’en même temps, venant toujours ici en vacances, aimant la ferme qui est là en face, je me suis mis à travailler avec eux parce que, eux, ils travaillaient tout le temps ! J’ai commencé à être un peu plus costaud et à savoir manier une faux, à savoir, petit à petit, travailler en rang de binage, en saison, pendant des semaines et des semaines, et sans le savoir, être amené à faire un travail bien fait. Une saison de binage, ça durait environ cinq, six semaines : on est dans un rang d’une dizaine de personnes pliées du matin au soir, c’est terrible. Chaque matin le chef de la ferme donne à chacun sa place dans le rang en fonction de sa cadence de la veille, parce que, si tu as été lent dans ta journée, tu as retardé les suivants, on te remet en arrière. C’est de la mécanique, c’est comme dans une usine, ça n’a l’air de rien. Mais alors, petit à petit, j’ai appris à savoir que si j’étais bon, si les plans n’étaient pas abimés, si j’en coupais pas trop, j’étais de mieux en mieux placé et, enfin là, j’étais meilleur. Jusqu’à une poignée de main, sur cette route, près du buisson, d’un homme qui me salue et me dit cette phrase qui me marque encore aujourd’hui : « Tiens ! Voilà une main de travailleur ! » ; c’était pour moi encore plus important que s’il m’avait dit vous avez la croix de guerre ou la légion d’honneur. Donc il y a cette poignée de main inoubliable, et tout d’un coup, en 1944 à 15 ans et demi, j’étais pas un salopard, j’étais pas un nul. Puis l’expérience du maquis dans le bois, où les hommes nous font cacher de l’argent et puis qui nous font découvrir tous les endroits où on pouvait cacher des armes : l’hôtel de la petite chapelle du Logou en haut de l’Etang Neuf ; j’avais, moi, un passeport pour pouvoir rentrer dans le bois, un papier dans une boîte de fer qui était à l’entrée de l’allée de la Vierge, pour ne pas être arrêté par les gardes du maquis. Et, à peine un an après, à la Libération, on me décore de la croix de guerre parce que j’ai pu amener dans la nuit une blessée jusqu’à Corlay. Elle n’était pas du maquis, mais elle faisait le lien entre le maquis de Corlay et le maquis d’ici, ce que je ne savais pas. Elle avait une balle dans l’épaule. Bref, j’ai passé une nuit où je n’ai pas beaucoup dormi. Mais, si vous voulez, tout d’un coup, la poignée de main, la croix de guerre - bon, je n’en fais pas une gloriole parce qu’à cet âge-là, c’est un peu comme un camp de scout -, je ne m’étais pas rendu compte de la gravité, j’ai eu peur, c’est tout. Je veux dire que ce lieu, par rapport au côté humain, m’a énormément marqué parce qu’après quand j’ai commencé à me dire que j’étais peut-être un type bien, et je me suis mis à travailler comme un forcené en philo et ensuite en médecine. Il fallait que je sois un type très bien. Et avec mon catholicisme par-dessus le marché, je me voulais le mieux possible. Ensuite j’ai beaucoup changé, dans mon métier grâce au comportement des femmes, et dans les domaines : familial, sexuel, des maternités non voulues, etc. ; ce sont celles que j’ai vu le plus réfléchir, le plus faire des choix et j’ai trouvé fantastique d’arriver à les aider, je dis bien, à les aider et non pas à choisir pour elles ! A ne plus être le docteur qui sait, parce que je ne savais pas. Elles m’ont appris plein de choses. Après mon service militaire, je reviens ici et je me mets à être co-gérant de ce petit groupement forestier de 130 hectares, pour me dépenser physiquement. Le bois a pris une grande importance, le plaisir de retrouver un rang de jeunes plants et petit à petit de les dégager, de les suivre. Et au long des années je suis devenu co-gérant (j’étais le manuel, la réflexion je m’en fichais), puis gérant. Qu’est-ce que je dirais d’autre par rapport à ce coin. Quand je reviens ici, je suis heureux de le retrouver ; il a marqué presque toute ma vie, profondément ! Et voilà que vous me demandez d’y venir, pour que je réfléchisse encore un peu à mon métier, à ma vie, ici, comme par hasard ! Cette transformation-là, elle est fondamentale pour moi, parce que je me suis vu transformé et ça m’a donné le goût de la vie et de la transformation des autres. Pour continuer sur mon parcours, j’ai eu un métier dans le contact humain. Je crois que beaucoup de confrères médecins méprisent trop souvent les gens, c’est affreux de dire ça, je regrette, mais je l’ai constaté. Oh, mais, c’est fou, le mépris que peuvent avoir beaucoup de médecins de la personne humaine ! Moi, ça m’a, petit à petit, scandalisé, réellement ! Mais, au début, je devais être un peu pareil et j’ai changé. Si j’ai changé, c’est que les autres peuvent changer. Mais, vraiment ! C’est une conviction profonde, celle-là, et ça me motive pour beaucoup de choses que je fais, comme par exemple la participation à des actions humanitaires. En retraite, la première chose que l’on m’a demandée était de monter un dispensaire au Pérou. Une mission dangereuse, une véritable aventure, il y avait le « Sentier Lumineux », et donc pendant deux mois, j’ai vécu avec ça autour de moi, du matin au soir, sans alliance, sans lunettes, sans rien. J’avais comme pantalon, un jean et une chemise ; nous étions deux en permanence, gardés, jour et nuit. Et ce n’était pas drôle. Mais, j’avais mon billet de retour. Quand je sais que je pars en mission quelque part je sais exactement si je tiendrais le coup et combien de temps. C’est dans ma nature. Au cours de cette mission, je me suis rendu compte, qu’après mon départ, il n’y avait plus rien en deux mois : ils ne pouvaient pas payer le médecin, l’infirmier, les médicaments. Qu’est-ce qu’on va faire dans ces cas là ? Donner des envies et des besoins aux gens qu’on ne satisfera pas ? Donc après, tout le temps, dans l’organisation où je suis encore aujourd’hui, (A.G.I.R.abcd) pour des soi-disant missions qui pourraient se faire en Afrique, en Asie ou ailleurs, la première chose que je fais, et j’emmerde tout le monde pour ça : « Quelle est la demande de la population de cet endroit-là ? » Et bien, il faut se payer un voyage pour aller voir ce qu’ils demandent vraiment. Donc, une fois qu’on a précisé leur demande, il faut trouver ici, celui qui est libre, et qui va pouvoir y répondre, techniquement et humainement. Et notre compétence n’est pas forcément celle qui est adaptée à leurs besoins ! C’est un sacré problème et je me suis occupé de ça pendant plusieurs années, à empêcher des missions ! Parce que pour moi, elles étaient complètement vouées à l’échec. Par contre je viens d’être très heureux, parce que, pendant six ans, j’ai vraiment mené une mission, précise, au Sénégal, où j’aurais dû aller pour la santé. J’avais prévenu ceux de mon association « A.G.I.R. », à Nantes, que moi j’irais plutôt avec une pioche, une pelle, je m’occuperais plutôt qu’il y ait des écoulements, le sanitaire, avant la médecine ou l’électro-cardiogramme. Il faut qu’ils aient un tout petit peu d’argent, pour pouvoir se payer, un jour ou l’autre, un infirmier de santé et éventuellement un instituteur, un éducateur, quelqu’un au point de vue scolaire. Mais tant qu’ils ne pourront pas faire ça, moi, je n’irais pas au point de vue santé. Donc, qu’est-ce qui peut d’abord leur servir ? Comme par hasard, en Afrique, c’est l’eau. Alors, les ingénieurs, dans l’association, se sont occupés des études d’hydrologie, pendant trois ou quatre ans. Je ne servais plus qu’à réunir les dossiers, les techniciens dans tous les domaines et petit à petit, à arriver à faire un projet qui soit l’eau pour des cultures maraîchères ! Et c’est fantastique comme projet parce qu’on y est, le barrage est fait. Et j’ai appris plein de choses ! Le plus important, ce n’est pas l’eau comme on voit, c’est l’eau qui va s’infiltrer, qui va faire remonter la couche, la nappe phréatique, même dans des pays comme ça, qui est à trente-cinq mètres, quarante mètres de profondeur, alors qu’ils savent creuser à dix mètres ! Et petit à petit l’eau est en train de monter, les cultures maraîchères ont commencé. J’ai pu y aller une fois, je me suis payé le voyage, et je n’y allais pas pour la mission. Au terme de cet échange avec "les Baladins de la Tradition" sur mon passé professionnel, ma vie dans son ensemble..., je suis stupéfait d’avoir si peu évoqué ma vie familiale (épouse, quatre enfants), alors qu’ils ont beaucoup compté pour moi ! Surprenant...!!! Il est vrai que deux éléments m’envahissent :
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