Sadhinata et les Bâuls du Bengale
mercredi 28 septembre 2005

par Arkhghan


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Arkghan : Sadhinata, vous avez exploré depuis presque 40 ans la spiritualité Hindoue et la culture indienne qui sont bien entendu indissociables. Vous venez nous parler aujourd’hui de l’une des deux expériences qui semblent couronner tous vos efforts, il s’agit de la rencontre des Bâuls du Bengale ces troubadours d’Orient qui sont comme les cigales de l’Inde. L’autre expérience plus récente, l’édification du mandala que l’on nomme le Sri Yantra fera l’objet d’un deuxième exposé. Vous commencerez juste aujourd’hui, à nous mettre l’eau à la bouche.
Chère Sadhinata, comment avez-vous connu les Bâuls ?

Sadhinata  : Tout simplement par un petit entrefilet dans une revue qui laissait la possibilité d’aller au Bengale et de connaître les Bâuls avec un petit groupe de yoga.
Cette expérience a été assez difficile pour moi car je suis très indépendante et je ne pouvais partager l’aspect touristique de la visite avec ceux qui venaient pour la première fois.

Arkghan : Qu’avez-vous fait pour supporter cette situation ?

Sadhinata  : J’ai essayé tant bien que mal de m’isoler mais surtout j’ai pu prendre, dès mon retour en France, la décision de créer une association pour venir en aide à ma grande famille Bâule.
" Vent et Liberté " résume par ces deux mots leur idéal de vie.
L’association ayant pour but de les accueillir en Maine et Loire et de leur permettre de diffuser leur art musical.
Chaque année depuis 8 ans, je retourne au Bengale pour m’intégrer davantage encore dans leur philosophie. Je suis Angevine et Bâule. Ma vie est double.

Arkghan : Mais combien de temps avez-vous mis pour retourner au Bengale après cette première prise de contact et comment les choses se sont passées alors ?

Sadhinata  : J’ai mis trois semaines ! Grâce à mes amis j’ai pu avoir une petite maison mais qui était trop luxueuse et trop éloignée du quotidien. J’ai eu l’aide d’un jeune français, Olivier venu au Bengale pour y étudier la musique, qui m’a servi de traducteur car je ne connais ni l’anglais ni le Bengali. Aussi vous comprendrez que j’ai appris ce que c’est que le silence mais aussi la transmission par l’Amour et le regard. C’est aussi un langage.

Arkghan : Comment se sont faites votre prise de contact et votre installation au milieu des Bâuls au cours des années ?

Sadhinata  : J’ai pu chercher un endroit où vivre avec mes amis, plus intimement, et comme je n’aime ni les villes ni les villages, j’ai choisi la lande. Un jour, je suis entrée en contact avec des Bâuls qui habitaient dans une toute petite cabane sur un terrain gouvernemental et j’ai appris que j’avais la possibilité de faire construire une maison pour nous tous. On a pu faire venir l’eau, la maison s’est agrandie, tous les amis Bâuls ont pu venir dans un endroit accueillant et nous avons au fur et à mesure organisé des concerts, des fêtes. Un temple au Shiva lingam a été édifié en forme de tour et dédié à Wishvanath Das Bâul.

Arkghan : A ce moment vous avez pu les connaître plus personnellement les uns et les autres ?

Sadhinata  : J’ai pu avoir la chance de connaître les différences en effet entre les qualités des uns et des autres. Il y a la famille de Wishvanath Das Bâul, grand maître de musique et chanteur envoûtant qui est de Bolpur Suripara ainsi que ses trois fils musiciens.

Arkghan : Où se trouve Bolpur au Bengale ?

Sadhinata  : C’est près de Shantiniketam à 150 Kms de Calcutta.

Arkghan : Shantiniketam c’est le sanctuaire de Rabinadranath Tagore.

Sadhinata  : Oui c’est là qu’il avait fondé son ashram, une académie des Beaux Arts, des écoles de musique.

Arkghan : Tagore connaissait les Bâuls.

Sadhinata  : Il a beaucoup admiré la poésie des Bâuls qui a été une source d’inspiration de sa création poétique.

Arkghan : Si nous revenions à vos différents amis.

Sadhinata  : Un des fils de Wishvanath, Anando Gopal Das a construit un bel ashram à Suripara-Bolpur où il accueille des groupes de yoga européen.
C’est un européen maintenant ou presque. Il vient chaque année faire des concerts et beaucoup de personnes le connaissent. Nos ashrams sont à 7 Kms l’un de l’autre.

Arkghan : Donc il y a Suripara Bolpur, Shantiniketam et aussi ce petit ashram que vous avez fondé dans la lande à Paruldanga.

Sadhinata  : Oui et c’est très différent. Notre ashram est à 500 m d’un vrai petit village de campagne tout à fait isolé et moi qui suis indépendante et libre, j’ai pu aller de l’un à l’autre.

Arkghan : Mais avez-vous exploré d’autres lieux en compagnie de vos amis ?

Sadhinata  : Oui car j’ai eu le privilège de devenir disciple de Wishvanath Das Baul qui m’a conduite chez ses amis, dans tous les lieux où les temples existent, où Shiva est particulièrement adoré.
Les Bâuls vont en groupe donner des concerts ou Mela dans les villages. J’ai pu partager cette vie Je le remercie d’avoir eu ce privilège.

Arkghan : A vous entendre vous avez pu vous fondre facilement dans le mode de vie des Bâuls, mais

je me demande si cette expérience est à la portée de tout le monde et même si elle aurait été à votre portée plus tôt dans votre vie sans une longue maturation psychologique préalable.
Cette considération me conduit à vous interroger sur ce qui a été en amont de cette expérience.

Sadhinata  : Il est vrai qu’il a fallu, pour que je me fonde avec ces fous de Dieu que j’attende d’arriver à un âge de liberté ! Avant j’ai dû travailler dans mon magasin " Présence et Lumière " tout en suivant pendant 15 ans la direction spirituelle de mon maître, qui est issu de la lignée du célèbre Sivananda de Rishikesh, bien connu en occident et en France et qui de fait est mon Upa Guru.

Arkghan : Upa Guru veut dire Guru de mon Guru et j’imagine que vous avez eu une grande joie à vous sentir acceptée parmi les Bâuls avec votre démarche précédente car ils sont d’une tolérance exemplaire je crois. Mais quel était ce magasin à Angers ?

Sadhinata  : Je voulais faire connaître l’art de l’Inde et sa spiritualité. Alors j’ai parcouru toute l’Inde, le Népal, le Cachemire, à la recherche de toutes sortes d’objets sacrés, de statues de divinités et autres, et je dois dire que j’avais fini par rassembler une collection unique. A Angers j’avais donc un magasin dans lequel je faisais des abat-jour. J’ai pu faire une collection de lotus d’or en particulier et en diffuser le symbole !

Arkghan : Mais oui, c’est du reste quelque chose qui vous a fait connaître. J’ai eu en ce qui me concerne, bien que n’habitant pas Angers, ce contact avec ces objets de votre magasin, sans me douter de qui vous étiez ni que je vous rencontrerais un jour. L’art est donc bien le véhicule d’une pensée. Je crois comprendre ce qui a pu vous attirer chez les Bâuls  : ne serait-ce pas cette synthèse qu’ils s’efforcent de réaliser entre l’art et l’art de vivre, la philosophie et la spiritualité à travers la poésie et la musique ?

Sadhinata  : Oui, et cela m’a fait revenir au temps de mon enfance puisque mes parents étaient des musiciens, organistes, violonistes et pianistes et que j’avais moi pris la voie de la peinture et de l’artisanat donc j’ai pu retrouver cette vibration de la musique pour entrer en contact avec la vibration cosmique.

Arkghan : Merci Sadhinata, c’est bien cela que j’espérais dévoiler en amont de votre expérience avec les Bâuls. Alors un retour à la musique oui mais aussi à la peinture puisque je crois savoir que votre vie de Bâul a déclanché un élan de créativité picturale. C’est important pour donner une valeur de fécondité à la spiritualité.

Sadhinata  : Oui c’est vrai, c’est vrai parce que le choc de cette rencontre est tellement intense que lorsque l’on a vécu 2 ou 3 mois de suite dans cette osmose avec les Bâuls et qu’on revient en France, il y a vraiment une période de néant où l’on attend le retour à la vie et c’est en peignant que j’ai pu retrouver la vie, ma vie active. Je me suis remise à peindre grâce à eux, à fusionner par la peinture qui était mon expression, et c’est vrai que je n’ai plus arrêté depuis. Aujourd’hui, j’ai pu approfondir cette fusion avec le Sri Yantra qui est un mandala shivaïte, qui est ma source d’inspiration.

Arkghan : Et dont nous reparlerons Sadhinata. Mais revenons à votre peinture pour ce qui est des Bâuls puisque c’est pour combler un vide à vos retours du Bengale que vous avez voulu représenter, peindre les Bâuls. Vous en avez fait combien ?

Sadhinata  : Peut être une trentaine que j’ai gardée. Au départ, j’ai voulu faire un grand triptyque représentant le Grand Bâul dans sa tenue spéciale de concert illustrant les étapes de la danse mêlée au chant. J’ai eu récemment l’occasion de faire une exposition à Angers de cette expression émotionnelle reliée au Divin.

Arkghan : Et à ce que je vois, cela vous a fait démarrer très très fort, car vous semblez donner tous les mouvements et toutes les intériorisations de ce que les Bâuls peuvent transmettre.
Pouvez-vous nous dire mieux encore, comment la peinture à été pour vous le vecteur de la culture Bâule dans le silence linguistique qui a été le vôtre ?

Sadhinata  : J’ai essayé d’apprendre le Bengali sans succès, par contre je me suis arrangée pour parvenir à peindre les caractères magnifiques du Bengali ainsi que les mots clés.
Je vous confie pour vos lecteurs le graphisme peint du mot " Istha Devata ".

Arkghan : Merci beaucoup Sadhinata, c’est magnifique. Pouvez-vous nous dire la signification de ces termes.

Sadhinata  : Istha Devata c’est le dieu préférentiel. Si cela vous amuse d’en entendre un autre Balbhobacha. Vous savez, j’adore le Bengali, bien que je ne le parle pas. Par exemple on entendra toujours Mon Amar Pagol, cela veut dire, mon esprit fou, on l’entendra dans beaucoup de chants.

Arkghan : Est-ce qu’il y a des traductions de ces chants en français ?

Sadhinata  : Il y a eu des essais de traduction, mais je dois dire qu’il est impossible d’être dans le cœur de leur émotion si on a sous les yeux un texte anglais ou français : il est préférable d’avoir simplement le titre d’un chant pour avoir une impression de ce à quoi ils pensent.
Aucune traduction ne remplacera jamais le chant Bengali.

Arkghan : Parmi les mots Bengalis il y en a un qui vaut la peine de décrypter, c’est Sadhinata, vous le portez ; il a une signification bien particulière, très poétique...

Sadhinata  : C’est un nom que j’ai choisi moi-même. Comme je l’ai déjà dit quand, je suis revenue pour la première fois, j’ai voulu fonder cette association " Vent et Liberté ".
Sadhinata veut dire Liberté.

Arkghan : C’est un mot que vous connaissiez avant ?

Sadhinata  : Oui, mais ça fait beaucoup rire les Bâuls que quelqu’un se soit donné le nom de Sadhinata... pour eux c’est vraiment drôle. J’ai trouvé qu’il est d’une musicalité toute orientale, d’une définition parfaite pour moi.

Arkghan : Je le trouve aussi et je crois que pour nous aussi c’est drôle !

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Les photos de Sadhinata ont été prises durant l’entretien. Celle du village Bâul ainsi que la calligraphie sont reproduites avec l’aimable autorisation de Sadhinata.

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> Sadhinata et les Bâuls du Bengale
3 octobre 2005

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