Saint Martin à Amiens
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C’est à Amiens que saint Martin aurait partagé son manteau dans un geste resté célèbre, quoi de plus naturel que de chercher comment sa mémoire fut conservée en cette belle ville... Réalisant quelques recherches sur saint Martin, évêque de Tours au IVe siècle [1], il me sembla tout naturel d’aller faire séjour à Amiens pour y glaner tout à la fois informations, visuels et inspiration. Je connaissais Amiens pour y être venu plusieurs fois et c’est tout naturellement que je me dirigeai vers la stèle commémorative apposée rue Lesueur sur un mur du Palais de Justice de la ville. Une œuvre du XIXe siècle, un peu austère. La plaque au-dessous indique que c’est ici l’emplacement du partage du manteau, lieu sur lequel aurait été bâtie plus tard l’abbaye Saint-Martin-aux-Jumeaux aujourd’hui disparue. Donc, hormis la stèle, ici, aucun vestige. Je me dirige alors vers la cathédrale. Plusieurs siècles se sont écoulés entre la vie de Martin et sa construction, mais l’évêque de Tours a été si célèbre durant si longtemps qu’il est impossible que les amiénois ne l’aient pas dignement représenté dans leur magnifique cathédrale ! J’entre, j’observe, je scrute... Ah ! Voilà un bas-relief montrant la scène du manteau, appelée "Charité de Saint Martin". Déception, il est moderne. Il date de 1987 et salue le 16e centenaire de la mort de saint Martin ! Entre le IVe et le XXe siècle : rien dans la cathédrale ! C’est stupéfiant ! Direction l’office de tourisme ! Il y a sûrement autre chose et, là, on saura me renseigner, c’est sûr ! "Saint Martin ?" Et l’on m’indique la stèle du Palais de Justice. "Oui, mais encore ?" Là, tout devient compliqué car il est manifeste que personne ne pose jamais ce genre de questions... Et comme il n’y a pas vraiment de réponse satisfaisante à apporter... "Ah si ! Il y a une église Saint-Martin à une demi-heure de là ! Mais elle ne sera sûrement pas ouverte. Les coordonnées de la paroisse ? Voilà !" Et me voilà parti ! Pour arriver quelques minutes plus tard au pied d’une église en briques de pur style XIXe. La représentation de la "Charité de saint Martin" qui figure au tympan est assez étonnante : le "pauvre" agrippe la bride du cheval et tire sur le manteau de Martin. On a presque l’impression que le légionnaire coupe le manteau pour se dégager de cette emprise ! L’église est fermée, comme annoncée, mais j’ai le numéro de la cure. On décroche. "Visiter l’église ?" J’explique mes recherches et que je suis là 48 heures, totalement disponible. "Non ! La prochaine fois, prévenez avant de venir !"... Je lève à nouveau les yeux vers le tympan de l’église : j’ai l’impression de voir illustrée là mon exigence à obtenir des informations sur Martin en cette bonne ville d’Amiens, visiblement peu préparée à recevoir pareils visiteurs !!! Retour à l’office de tourisme ! "Et sur la ville du IVe siècle, où puis-je trouver quelque chose ?" Là, on sait me répondre : il y a le Musée de Picardie et juste à côté la bibliothèque ! En route ! Le musée renferme effectivement des richesses sur le passé gallo-romain de la ville et je m’instruis agréablement imaginant Martin au sein de ce monde passé. Les cultes en vigueur, les débuts du christianisme, les vestiges de l’armée romaine, les plans de la ville antique et de ses fortifications... Et à l’étage au-dessus, je découvre même deux chapiteaux historiés de l’ancienne abbaye Saint-Martin-aux-Jumeaux ! Je poursuis avec un séjour à la bibliothèque où il me faut répéter trois fois l’objet de mes recherches : "Saint Martin et tout ce qui s’y rapporte à Amiens" tant la demande est peu souvent formulée. Mais un très intéressant dossier de presse vient récompenser mes efforts ! J’y apprends que l’emplacement de la fameuse porte de la ville au pied de laquelle Martin partagea son manteau est controversé : elle aurait été tantôt à l’emplacement du palais de Justice, tantôt tout près du portail Sud de la cathédrale. Elle se serait nommée la "Porte aux Jumeaux" d’où, plus tard, l’appellation de l’abbaye "Saint-Martin-aux-Jumeaux". Mais non ! L’abbaye s’appelait ainsi car elle était accolée à une autre église "jumelle" dédiée à Saint Nicolas. D’ailleurs la fameuse porte se serait nommée porte de l’Arquet ! J’apprends aussi qu’il y a une rue "Saint-Martin-aux-Waides" [2] où aurait été édifiée sur le lieu du songe de Martin suite au partage de son manteau une église "Saint-Martin-du-Bourg", détruite à l’époque de la Révolution. Donc, à part la plaque de la rue, là encore, rien à voir ! Pour terminer, je trouve mention d’un article de journal de 2002 annonçant la création d’une association Saint-Martin pour sauvegarder son souvenir à Amiens et faire à sa suite œuvre caritative. La création d’un oratoire sous la maison dite "des Pèlerins" face à la cathédrale y est annoncée. Aujourd’hui, personne ne semble plus parler de tout cela, mais le tout petit bas-relief qui est apposé sur la maison des Pèlerins est certainement le signe le plus touchant du passage de Martin en cette ville... Je termine mon séjour par un passionnant échange avec l’un des guides-gardiens de la cathédrale : "Pourquoi saint Martin n’est-il pas représenté dans la cathédrale ?" "Pour des questions de business !" Au moment de la construction de la cathédrale, on vient de rapporter de Terre sainte le chef de Jean-Baptiste, une relique illustre. C’est elle qu’il s’agit d’honorer dans la cathédrale, c’est elle qui va faire venir du monde à Amiens ! Dans ces conditions, Martin n’est plus qu’un souvenir ancien qui est passé de mode... Dans l’un des articles du dossier de presse consulté à la bibliothèque, j’ai lu également, sous la plume de l’excellent Maurice Crampon, spécialiste de la cathédrale d’Amiens : "Il peut paraître singulier qu’aucune représentation de saint Martin ne figure à la cathédrale d’Amiens, mais n’est-ce pas parce que son souvenir est resté surtout très vivace dans les villages, et que notre grande basilique n’a jamais possédé de relique de l’apôtre des campagnes." [3] A Amiens, comme presque partout ailleurs, il s’avère que c’est dans la simplicité du quotidien que le souvenir de saint Martin est resté inscrit, loin du faste des villes et des "grands" de ce monde. N’est-ce pas finalement ce que signifie la présence exceptionnelle de la "roue de fortune" (suite de petits personnages réalisant l’ascension de la rose, y trônant, puis retombant de l’autre côté) à la rose Sud de la cathédrale, la plus proche du lieu où Martin partagea son manteau... Après tous ces tours et détours dans la ville, je ne résiste pas au désir de revenir dans la cathédrale pour y admirer le labyrinthe qui est, ici, toujours magnifiquement à découvert ! Je le parcours doucement. Une fois. Puis une autre. Et reste à le contempler longuement... Pour consulter sur le présent site l’ensemble de l’étude consacrée à Martin de Tours... |
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Toutes les photos ont été prises par l’auteur. [2] La waide est une plante qui fut fort prisée par les maîtres teinturiers du Moyen Age. Elle permettait d’obtenir le fameux "bleu d’Amiens". Saint Martin s’illustrant avec un manteau, il était normal que l’artisanat local du tissu et du vêtement s’empare de l’événement ! Pour en savoir plus sur la waide... [3] Maurice Crampon : "Le mantel de saint Martin", article de la "Picardie laïque" daté janvier 1965 |
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