"Ne voyez-vous jamais les divines phalanges |
Empreintes dans la pierre lundi 11 mai 2015 par Ismée de Voulton |
Traces de pas dans le sable… dans la poussière du chemin… Traces de pas dans la forêt… en bordure de champs… Traces de pas dans la neige… Traces éphémères… Indices silencieux… Discrets… Signes de vie. J’ai vu de mes yeux toutes les pierres illustrées ci-dessous, mis mes pieds nus dans ces traces de pas, me suis assise dans ces fauteuils illustres, ai respectueusement contemplé ces empreintes qui défient le Temps et approché ainsi les rives silencieuses de quelques autres mondes... A mon tour, je vous invite au voyage... Il faut partir tôt le matin et gravir la montagne pour arriver face à cette grande "Pierre aux pieds" marquée de 82 empreintes de pieds dont 35 paires et de 80 cupules que les chercheurs datent du Néolithique. [1] Les empreintes donnent à cette pierre une orientation naturelle car le regard instinctivement se dirige dans l’axe des pas, vers l’Est. Marque millénaire d’un culte au soleil ? Ou bien aux chaînes de montagnes environnantes ? Qu’importe finalement au promeneur… Ce sont les traces de pas qui interrogent. Qui est venu là en tout premier ? Qui a réalisé ces marques et mis ses pieds dans ces traces où je mets les miens, nus, aujourd’hui ? Ce contact avec la pierre, doucement réchauffée par les rayons du soleil, est bienfaisant… Et les pieds du randonneur comprennent qu’il faut goûter l’instant et qu’il est pour l’heure inutile de chercher des réponses à tous ces "pourquoi" qu’à l’autre extrémité la tête pensante génère… En ce moment précieux, l’émotion seule compte… l’émotion et... l’envol... Le Mont-Saint-Michel attire à lui toutes les attentions, tous les désirs de découvrir en ce lieu unique des merveilles... LA Merveille ! Laissons les touristes pressés admirer toutes les beautés de ce mont et retournons sur le continent, à quelques kilomètres de là, sur le Mont-Dol. Petite butte, simple chapelle, quelques rochers… Et une belle vue avec la mer au loin et le Mont-Saint-Michel à l’horizon. Ne quittez pas ces lieux trop vite de nouveau attirés par le grand Mont. Et écoutez plutôt les récits et légendes que l’on raconte et qui prennent place sur ce Mont-Dol. Ce combat terrible de l’Archange avec le Diable. Les forces en présence sont d’une très grande puissance. Ici, Michel abat son épée et - manquant sa cible - taille en deux un rocher. Là, c’est le Diable qui prend appui sur une autre pierre pour échapper à l’archange et y laisse son empreinte à jamais. Là encore, c’est le pied de l’archange qui est comme imprimé dans la pierre alors, qu’ayant vaincu son adversaire, il prend son envol définitif vers le Mont qui portera son nom !... L’histoire raconte que l’on a retrouvé sur ces deux monts les restes d’antiques sanctuaires à Mithra, jeune dieu vigoureux venu de Perse, vénéré par les romaines légions. [2] Quoiqu’il en soit, c’est de puissance qu’il est question ici. De puissance dont on peut se recharger, de victoire sur soi que l’on comprend possible. Oui, c’est de régénération dont on fait l’expérience en ces lieux. Le siège de Merlin en forêt de Brocéliande, au coeur du pays de Bretagne, est hiératique. Dominant le Miroir aux fées, étang légendaire bien connu des plus valeureux chevaliers de la Table ronde, taillé en des âges anciens dans la crête de pierre du dragon qui frémit sur les hauteurs du Val sans Retour, l’on s’y sent tout à la fois protégé et protecteur, illuminé par la grâce dispensée sans compter par cette forêt magique. Et c’est fort que l’on s’en relève, fort et prêt à oeuvrer dans tous les mondes au nom des plus hautes valeurs ! J’étais en habit de pèlerin - sac au dos, bâton et grosses chaussures - sur le chemin venant de Tours vers Compostelle. L’étape avait été agréable sur l’antique voie romaine en direction de Poitiers. Je décidai, en pénétrant dans Buxerolles, proche banlieue de la capitale du Poitou, de faire un détour pour voir ce "pas de saint Jacques" dont j’avais entendu parler. Après bien des détours, je trouvai enfin le gros bloc de calcaire affleurant du sol. Pierre brouillonne aux traces indécodables, accompagnée d’un très grand et très austère crucifix. J’appris par l’écriteau que bien des pèlerins s’étaient arrêtés pour prier ici. Je n’eus aucune envie de satisfaire à la coutume. Je ne ressentais rien en ces lieux. Je repris ma route vers Poitiers non sans avoir pris quelques photos en souvenir du grand saint Jacques qui serait passé en Poitou marquer le sol de son empreinte et de son bâton. Certains lieux semblent vides d’histoire comme d’énergies. Celui-là le fut pour moi. Poitiers la belle me fit un tel effet lorsque j’y pénétrai à pied quelques minutes pus tard après toutes ces régions traversées depuis mon départ que je décidai d’y faire étape pour 24 heures. Je découvris ainsi les beautés qu’elle recèle et tout particulièrement l’église Sainte-Radegonde. Reine de France, épouse de Clothaire, le fils de Clovis, Radegonde a un destin particulier et fonde le premier monastère de femmes en Gaule, près de Poitiers. Son tombeau est un haut lieu et la crypte où il se trouve est un endroit vibrant. J’en sortais à peine et remontais la nef lorsque j’aperçus dans un enfeu sur la gauche une étrange scène figurant une vision de la reine-moniale : Radegonde agenouillée face au Christ montrant son front, illustrant ainsi les mots qu’il aurait alors prononcés : "... Sache bien que tu es l’un des plus beaux diamants de ma couronne." Entre les deux personnages, dans la pierre : "le pas de Dieu" s’inscrit dans une dalle de pierre préservée au cours des siècles. "Le pas de Dieu" ! Dans la pierre ! Protégé par une petite grille car l’on s’y usa les ongles pour prélever quelques poussières dans le passé. "Le pas de Dieu" ! Si étonnant que cela paraisse, et loin de toute superstition, ce lieu fut loin de me laisser insensible. Etait-ce le fait de découvrir cette trace dans l’attitude d’un pèlerin ? - Ce que l’on découvre en utilisant seulement ses deux pieds comme moyen de locomotion prend souvent un sens inattendu. - Ou bien était-ce la contemplation de cette empreinte si improbable ? … L’empreinte du pied à terre... Le doigt sur le front... De la terre dont Adam aurait été façonné au diamant de l’ultime réalisation... Martin de Tours est l’une des grandes figures du IVe siècle. Evangélisateur de la Gaule, fondateur des premiers monastères, le pèlerinage à Tours sur le lieu de sa sépulture a été le plus important d’Europe durant bien des siècles. Si l’Eglise le célèbre dans toute la région de Touraine, la tradition populaire attribue à cet évêque des premiers temps, grand marcheur de Dieu, quelques lieux étonnants. Ce "siège de saint Martin" sur le plateau qui domine le bourg de Cinais à l’ouest de Chinon n’est pas facile à trouver, il faut arpenter longtemps le site d’une ancienne enceinte gauloise. Sa découverte dans le coude d’un sentier minuscule est une surprise. Assis, le dos bien calé au creux de cette pierre, au coeur de cette lande colorée et délicatement odorante, c’est au repos que l’on est invité, au repos et à une douce méditation. "N’oublie pas d’accorder du temps à ton être intérieur ; n’oublie pas d’accorder du temps à l’essentiel." semble murmurer ici l’infatigable Martin. Quarante jours après Pâques, les chrétiens depuis le Ve siècle célèbrent l’ascension du Christ. Il quitte ce plan physique avec son corps qui disparaît à la vue de ses disciples. La scène est magnifiquement illustrée dans le tour du choeur de la cathédrale de Chartres sculpté à la Renaissance par un artiste inconnu, au sein d’une scène qui porte le numéro 34. Marie, sa mère, comme les disciples sont saisis de le voir ainsi s’élever et bientôt disparaître. Une "mort" en direct ! Un moment incroyable dont il faudra pouvoir répondre : était-ce bien réel ? Sans doute est-ce à cette question que le sculpteur veut répondre à sa façon en imprimant dans une pierre placée ici fort à propos l’empreinte des pieds du Christ ? Ou bien, veut-il exprimer que l’incroyable énergie dégagée par cette scène n’a pas pu laisser l’environnement indemne de son rayonnement ? A qui voulait-il transmettre ce message lui qui a sculpté cette pierre de façon à ce qu’on ne la distingue qu’à peine d’en bas ? Peut-être faut-il chercher la réponse à toutes ces questions en interrogeant le seul apôtre qui dirige son regard en dehors de la scène ? De la "Pierre aux pieds" de Haute-Maurienne à la "Pierre aux pieds" de Chartres, ces quelques images et commentaires ne se veulent en toute simplicité qu’invitation au voyage au coeur des traditions anciennes qui sont si riches d’expériences pour celui que sait se faire attentif... |
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Les autres photos sont de l’auteur. [1] Sur la "Pierre aux Pieds" de Lanslevillard, on trouvera d’autres informations sur le site du GERSAR et dans les publications suivantes : "Aperçu de l’art rupestre de Haute-Maurienne" - Cahiers du GERSAR - 1980 et "Pierres à cupules et roches gravées en Savoie" Revue de "L’histoire en France" N°71 - Septembre 1983 [2] Pour en savoir plus, consulter : "Le Mont-Dol - Histoire et légendes" de M. Deceneux - Atelier Junkeneus - 1988 |
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