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- Bruno arrive devant Urbain II
- Tableau d’Eustache Lesueur
Six ans plus tard, en 1090, un émissaire du pape se présente auprès de l’évêque Hugues porteur d’un message pour Bruno lui intimant l’ordre de rejoindre le Vatican.
Homme d’obéissance, Bruno bénit ses frères et se met en route.
Tous les six ressentent un grand trouble : c’est pour suivre Bruno qu’ils étaient là. Pour vivre dans le sillage de son âme noble, façonnée par une foi sans faille. Seuls, l’aventure n’a plus de sens ! Ils parlent de se séparer, de repartir chacun pour la vie du monde… Quelques-uns prennent même la route… On imagine les jours de doute qu’ils traversent ensemble… Les vraies questions font surface peu à peu… Etions-nous là pour Bruno seulement ou bien… ? Toute la confiance que nous avions placée en lui, en sommes-nous à ce point dépourvus, seuls…
Seuls ?
Landuin qui a été choisi pour succéder à Bruno par ceux qui sont restés réussit à regrouper la communauté.
C’est là. Au départ de Bruno. Au moment où ces hommes mettent au second plan la personnalité de celui qu’ils ont toujours considéré comme leur maître. Au moment où ils prennent conscience qu’ils sont unis par les liens indéfectibles de leur fraternelle consécration en Dieu. C’est là que prend réellement naissance ce que l’on connaîtra plus tard sous le nom d’Ordre des Chartreux.
Les six décident de rester ensemble, sur place. Plus de neuf cents ans sont passés et leurs frères chartreux sont toujours là.

- Monastère de la Grande Chartreuse
- © Crédit photo : www.photos-dauphine.com
Le pape Urbain II est lui aussi un ancien élève de Bruno et c’est pour jouir de son conseil qu’il l’a fait venir à Rome. Bruno passe plusieurs mois à la curie romaine puis demande à nouveau à se retirer « au désert ». Le pape ne l’entend pas de cette oreille et souhaite garder Bruno près de lui. Il lui offre une importante charge épiscopale en Italie. Bruno, on s’en doute, refuse et réitère sa demande.
En décembre 1091, dans un compromis qui satisfait Bruno, le pape, qui ne veut pas qu’il quitte l’Italie, lui accorde de s’installer en Calabre. Immédiatement, plusieurs dizaines d’hommes s’offrent de découvrir sous sa tutelle la vie de solitude et de contemplation qu’il prise tant. Un deuxième ermitage est né.
Bruno va y passer le reste de sa vie tout en entretenant une correspondance avec ses premiers frères de Chartreuse. De tout ce que Bruno a écrit dans sa vie, il nous reste uniquement deux lettres rédigées en Calabre. Ainsi le silence est retombé aussi sur ses écrits... mais dans ces deux missives, que de beautés pour l’âme qui aujourd’hui encore les reçoit !
"Réjouissez-vous donc, mes frères très chers, pour votre bienheureux sort et pour les largesses de grâce divine répandues sur vous. Réjouissez-vous d’avoir échappé aux flots agités de ce monde, où se multiplient les périls et les naufrages.Réjouissez-vous d’avoir gagné le repos tranquille et la sécurité d’un port caché..." [1]
La main de Dieu l’élève le 6 octobre 1101 et ses fils de Calabre transcrivent ses derniers moments tout en dépêchant un messager qui, durant de nombreux mois, parcourra l’Europe, faisant signer sur son passage le Rouleau funèbre qui nous est parvenu.

- Point culminant du massif de Chartreuse
Ainsi, grâce à l’ouverture de son coeur il créa un mode de vie nouveau, par la pureté de son âme il sut discerner l’essentiel et y consacrer la fulgurance de sa foi entraînant dans son sillage des milliers d’hommes et de femmes à travers les siècles. Et il sut être si simple qu’il est à l’origine de l’un des rares ordres monastiques qui ne porte pas le nom de son fondateur.
"Ce que la solitude et le silence du désert apportent d’utilité et de divine jouissance à ceux qui les aiment, ceux-là seuls le savent, qui en ont fait l’expérience.
Là en effet, les hommes forts peuvent se recueillir autant qu’ils le désirent, demeurer en eux-mêmes, cultiver assidûment les germes des vertus, et se nourrir avec bonheur des fruits du paradis. Là on s’efforce d’acquérir cet oeil dont le clair regard blesse d’amour le divin époux et dont la pureté donne de voir Dieu. Là on s’adonne à un loisir bien rempli et l’on s’immobilise dans une action tranquille. Là Dieu donne à ses athlètes, pour le labeur du combat, la récompense désirée : une paix que le monde ignore et la joie dans l’Esprit-Saint." [2]
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