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Profane, sacré et connaissance
jeudi 20 avril 2006

par Abd Al Haqq


Je retrouve aujourd’hui cette citation extraite de "Doctrine de la non-dualité et christianisme" par un Moine d’Occident : "La connaissance totale est l’Etre total ; telle est la perfection de l’essence divine." La connaissance est donc bien autre chose que la science ou le savoir, elle est de l’ordre de la participation à la Personne Divine.

Dès lors elle ne peut être le résultat d’une activité partielle de l’humain de son cerveau et de son ego. Je crois que la nuance se situe ici... La connaissance serait alors de l’ordre du sacré et le savoir du profane... Mais cela suppose une dichotomie, une contradiction, entre les deux termes. Il laisse percevoir, sinon un antagonisme, mais au moins une progression qualitative entre deux états. C’est un peu comme si l’on entendait : « de la nuit vers le jour » ou bien encore du « sale vers le propre ».

Qu’en est-il en réalité ? Peut-on à juste titre parler de limite entre le profane et le sacré ? Et où se situerait-elle ?

Pour mieux comprendre ce dont il s’agit, il nous faudra partir d’exemples concrets. Ainsi la musique, puisque l’on parle de musique sacrée,

Mozart, Bach, Fauré comme bien d’autres musiciens ont, selon l’expression commune, composé de la musique sacrée. Que de requiems, de messes, de passions selon tel ou tel évangéliste ! Un trésor de beauté religieuse.

Mais en quoi ces compositions sont-elles différentes d’autres œuvres de ces même compositeurs de génie ? Quel élément de la structure musicale fait de telle musique une musique sacrée ? Aucun ! Aucun si ce n’est la destination de la pièce ! Il n’y a en effet aucun trait particulier qui permette de différencier techniquement une œuvre profane d’une œuvre sacrée. A tel point que bien des compositeurs ont utilisé les mêmes phrases musicales, voir les mêmes thèmes, pour l’une et l’autre forme de composition.

Une œuvre n’est déclarée « sacrée » que lorsque son auteur la destine à la liturgie, à la prière. Si la destination de l’œuvre est une condition nécessaire à sa qualification de sacrée, elle n’est cependant pas suffisante. Vous viendrait-il, un seul instant à l’idée que les chansonnettes chantées aujourd’hui dans les églises, lors des messes puissent être assimilées à de la musique sacrée ?

Mais alors me direz-vous : quid de la musique sacrée ? Y en a-t-il ou y en a-t-il eu ?

Certes oui il y en eu ! Il fut même un temps où il n’y eut que ça ! Il fut un temps où tout art, musique, danse, poésie n’avait de raison d’être que pour conduire à la rencontre du Divin. (C’est sans doute là, la fonction du sacré). Mais peu à peu, ces arts (sans jeu de mots avec le nom d’un sculpteur contemporain), ces arts furent profanés ; ils tombèrent dans le domaine profane ; ils servirent de distraction et d’avatars en avatars la musique liturgique fut mise en rap et le rock fit son entrée dans l’église.

La véritable rupture se situe, en fait, au moment où l’on passe de la musique modale, à la musique tonale. La vraie musique sacrée, que nous distinguerons de la précédente que nous qualifierons de simplement religieuse, était basée sur le rythme cardiaque et le souffle humain. Les tons étaient en relation avec les saisons et les temps liturgiques, projetant l’humain hors du temps linéaire et profane, afin de lui permettre l’accès à un temps cyclique et sacré. Car l’infini, l’absolu, échappe au quantifiable, au mesurable.

Dans cet ordre, peut être nous reste-t-il le chant grégorien ? Mais, et c’est bien la preuve qu’une musique n’est sacrée que par sa destination et son usage, peut-on dire, lorsque l’on entend Hildegarde Von Bingen dans un night club, qu’il s’agisse encore de musique sacrée ? Certes non, car dans ce cas précis la musique est profanée, c’est à dire rendue profane.

Il est habituel de qualifier le travail d’activité profane. Pourtant, envisagé d’un point de vue initiatique, le travail trouve sa signification la plus profonde et sa portée la plus haute car il dépasse, dans ce cadre, le petit plan humain pour s’apparenter au plan cosmique. Selon cet ordre, l’art et le métier se confondent et sont tous deux, envisagés comme imitation de la nature. Non pas par les représentations qu’ils en produisent, mais bien dans les moyens de production mis en œuvre. Abordé comme prolongement de l’action créatrice de Dieu, le travail cesse d’être profane. Il devient sacré.

Il est bien évident que, sous cet angle de vision, l’aspect strictement rémunérateur devient plus que secondaire ; il n’est plus le but suffisant de l’activité. D’ailleurs a-t-on vu une abeille ou une rose réclamer un salaire mensuel ? Car dans ce cadre le travail redevient une vocation ; une fonction naturelle de l’état d’être humain.

Voilà encore un contexte où le changement de regard, de destination de l’acte fait passer du profane au sacré comme par magie. Le travail, comme toute autre activité humaine, devient sacré dès qu’il constitue une collaboration consciente et effective à la réalisation du plan divin. Partant de là, il appartient à chacun, en son fors intérieur, de s’interroger sur la qualité de sa présence dans la vie professionnelle et de la finalité de son activité. Notons cependant qu’il est probable que ce changement de regard sur le travail aura une influence sur la qualité objective de celui-ci.

Certains lieux sont dits sacrés, ce sont généralement des lieux de culte et toutes les religions ont les leurs. Ces lieux se caractérisent souvent par une construction particulière, mosquée, église ou temple. Mais plus caractéristique encore est l’attitude des gens se rendant sur ces lieux. Il faut, généralement adopter une vêture particulière, ici une kippa, là les pieds nus, il n’est guère que dans les églises catholiques romaines où, dégénérescence de l’occident oblige, on peut se rendre en short ou même dans des tenues plus exubérantes...
Cette anomalie mise à part, on peut constater que, dans ces lieux sacrés, outre les vêtements une certaine gestuelle est imposée. Dans une église, par exemple, en entrant, il est (ou était) de coutume de faire une génuflexion et un signe de croix, à la mosquée on rentre du pied droit déchaussé, en état de pureté rituelle, et en récitant le début de la Fath’ia. Dans le Zen-do se sera du pied gauche, en saluant.
Ces lieux sont donc rendus sacrés par l’attitude de ceux qui y pénètrent consciemment, et encore une fois, c’est l’usage qui sacralise.

En fait le sacré, est, sans doute, en premier lieu, un autre état de conscience. Un état de conscience différent du profane, élargi aux dimensions de l’infini invisible. Cette partie, l’invisible, est la plus importante de l’univers. Antoine de Saint Exupéry disait qu’il est, cet invisible, l’essentiel qui ne se perçoit qu’avec le cœur.

Le cœur est le lieu de la Réalité, car il est seul exempt des aberrations causées par les sens et la raison. Par cœur, nous n’entendons pas ici le siège des sentiments, mais le centre, le lieu le plus intérieur de l’être. Ce lieu où selon le Christ se trouve le royaume : « Le Royaume des cieux est à l’intérieur (entos) vous. »

Mais le sacré est aussi perceptible par les symboles. Ainsi, Henri Corbin, dans son précieux ouvrage « L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabi » nous dit :
« Le symbole annonce un autre plan de conscience que l’évidence rationnelle ; il est le « chiffre » d’un mystère, le seul moyen de dire ce qui ne peut être appréhendé autrement. »

C’est bien à une connaissance, une gnose que le sacré fait référence. A un état bien supérieur au savoir.

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Les illustrations proviennent des sites :
 http://www.stift-rein.at/
 http://www.unexplained-mysteries.com/

La photo de la nef d’Amiens a été prise par "Les Baladins de la tradition".

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Profane, sacré et connaissance
16 juillet 2008, par Garanos

Apres vos lectures qui sont certes passionnantes on peut ajouter :

que la lecture peut se faire à 7 niveaux dont trois seuls sont ontologiques . La musique vient du 4e ciel pour Bach etc. On pourrait attribuer un ciel à chaque art du quadrivium et du trivium. Dante l’a fait.
3 ontologiques pourquoi ? ils relèvent de l’individualité cosmique ( atma, budhi , manas ) et donc les 2 premiers atma et boudhi ne sont pas soumis à karma. Les 5 autres sont la personnalité diverse et colorée du moi qui se soumet à la roue. Quand je lis avec l’individualité je suis donc dans un non monde et donc hors du temps , je suis dans l’essentialité de l’être avec les autres niveaux je suis dans l’âme humaine qui ne perçoit que tres partiellement la monade en ne vivant que dans la dyade. Donc quand je lis , ecoute perçoit ...qui écoute ? lis ? et pense en moi ? , lequel des sept ? c’est là ou la verticalité et la personnalité sont deux et un dans la perception intime. mais le résultat est autre dans la conscience. L’une mortelle , l’autre immortelle. Dans le cadre du metier , quand un metier etait lié au sacré proprement dit il n’etait pas séparé comme objet et sujet. Dans la vie profane objet et sujet sont à l’opposé. Le cadre d’entreprise se moque bien du sacré, cela n’est ni utile , ni rentable. Nous sommes bien dans un discours sacré avec parfois des métiers sacralisés par nature puisqu’initiatique des l’origine comme dans le compagnonage et le druidisme. Les fonctionnalités ou corps de l’homme sont une mais divisées selon les especes , les modes , les genres de création.C’est là finalement l’entrée ouverte au palais fermé du roi ou la pierre se refuse de nous dire qui elle est si nous n’avons pas le mot de passe ..et quand l’individualité à été ouverte des lors on entend , voit , perçoit avec le non être qui raconte , voit les autres régions invisibles du monde ou les entend..Fraternité à tous.



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Profane, sacré et connaissance
1er mai 2006, par Isha

Très belle approche, et bien que je ne sois pas initiée à la Musique, l’Image créée ainsi est très parlante. Aujourd’hui, où nous sommes dans un moment de confusion extrême, où les mots ont perdu toute leur Valeur, il est bon de ré-activer cette Mémoire que l’on porte en nous et qui grâce à Dieu, ne peut s’éffacer, malgré les efforts que l’on fait pour cela.
Profane, sacré, connaissance ... savoir comme le Roi composite de Goethe que tout se mélange et met en péril les fondations même de notre Etre.
Le Travail, auquel Benoît attachait de l’importance, est souvent synonyme de "corvée, obligation... et même service pour celui à qui il est destiné..." a perdu sa vraie Valeur, celle qui donnaît à l’individu sa "dignité". L’aspect sacrificiel de l’acte n’est plus perçu.A la place des Cathédrales qui reproduisaient la construction Idéal de l’homme qui savait encore communiquer avec Dieu, sont construites des tours en béton, des déchetteries, des usines à ordures .... Il faut tout réapprendre, comme on apprend à l’enfant à marcher avant que de se rappeler qu’il peut courir ! Alors peut être lorsqu’à nouveau nous aurons retrouver "la verticale" le Profane, le Sacré, la Connaissance, seront ré-unis dans une même Valeur, un même symbole : La Vie, symbole du Sacré par excellence.


Profane, sacré et connaissance
21 avril 2006

« Quand le monde fléchit autour de soi, quand les structures d’une civilisation vacillent, il est bon de revenir sur ce qui, dans l’Histoire, ne fléchit pas, mais au contraire redresse le courage, rassemble les séparés, pacifie sans meurtrir. Il est bon de rappeler que le génie de la création est, lui aussi, à l’œuvre, dans une histoire vouée à la destruction. » Albert Camus remerciements à Mozart extrait de sa dernière chrnonique à « L’Express » du 2 février 1956


Profane, sacré et connaissance
20 avril 2006, par Bayazid

Cher Abd el Hacq,

Merci d’aborder ce sujet capital !
On comprend en te lisant que « le sacré et le profane » qui désignent des sphères (des espaces et des temps) différents : les uns destinés à Dieu, les autres aux activités humaines, sont situés dans une démarche totalement exotérique.
Pourquoi ? Tu l’as dit, parce que cette distinction est effectuée en fonction de la destination (donnée au départ par les pouvoirs politiques, sociaux ou religieux) d’un acte ou d’un lieu, et non en fonction de la démarche intérieure de l’être.
Cette distinction, pour un individu qui suivrait une démarche intérieure, initiatique, n’est pas totalement abolie ni dénuée de sens.
Mais la grande différence, c’est que c’est lui (cet individu) qui va alors donner un sens (sacré ou profane) à ses actes, ainsi qu’aux lieux qu’il fréquente
(d’où la phrase de Maître Eckart : « ce ne sont pas mes actes qui me sanctifient, c’est moi qui sanctifie mes actes »).
L’initié, le cherchant, a tendance à sacraliser des activités ou des lieux décrits socialement comme profane : un travail rétribué, s’il est accompli (comme tu l’écris) en ayant la conscience et le bonheur de participer au plan divin devient sacré. Une forêt devient un Temple. Une mélodie, même maladroite, devient une prière. À l’inverse, celui qui se perd dans le matériel va tout « rabaisser » au profane...
Ainsi, ce n’est pas le sacré qui mène à la connaissance. C’est la connaissance (une connaissance intime, intérieure) qui rend le monde sacré pour celui qui la vit.
Et comme ce vécu ne peut se décrire facilement dans le langage courant, il adopte la forme polysémique des symboles, de la poésie, ou de la musique.....
« Nos cœurs sont les faces divines propres à chacun de nous »
Abd el-Kader

Bien à toi,

Bayazid


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