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Honoré de Balzac
II - Thèmes martinistes chez Balzac
E - Langage, art et musique vers une théorie de l’art
Vers une théorie de l’art - la musique
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Vers une théorie de l’art - la musique
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Cet article s’inscrit dans le cadre d’une vaste étude intitulée "Balzac et le Martinisme". Pour en consulter le plan. Pour revenir à la page précédente... Louis Claude de Saint-Martin étant lui-même musicien, il jouait du violon. La musique reflète la Grande Unité, l’accord parfait primordial. Le texte d’Aurélia parle de cette musique des sphères qui réduit la dualité de la chute de l’Univers. "Du sein des ténèbres deux notes ont sonné, l’une grave, l’autre aiguë, et l’orbe éternel s’est mis à tourner aussitôt. Sois bénie, ô première octave qui commença l’hymne divin !" L’oeuvre de Balzac se fait l’écho de l’appel de Saint-Martin à une rénovation artistique. Louis Lambert constate que les monuments modernes ne valent pas les anciens et que les arts qui procèdent immédiatement de l’individu, production de génie ou de la main ont peu gagné. La critique du système social est corrélative d’une dénonciation du malaise des arts car l’art reflète le degré de bonheur que la société favorise pour l’individu. Une société basée sur les seules valeurs scientifiques est humaine. La connaissance est appliquée à la massification, l’uniformisation, le renforcement de l’appareil étatique, militaire, administratif et policier. L’art, par contre, permet la réconciliation du matériel et du spirituel. Dans Ursule Mirouët, alors qu’il décrit la ville de Nemours, Balzac précise que la nature y est aussi belle que l’art dont la mission est de la spiritualiser. La mission de l’art est de retrouver la nature originelle d’avant la chute. Dans l’état actuel de l’humanité, aucune oeuvre d’art, aucune production de l’homme, ne saurait égaler ce que Dieu a fait et ce n’est qu’une pâle tentative de retrouver nos pouvoirs créateurs d’antan. C’est pourquoi Balzac nous dit dans "La Recherche de l’Absolu" : "La nature et surtout la nature morale est toujours au-dessus de l’art, autant que Dieu est au-dessus de ses créatures". La musique, cependant, est un véritable art sacré. Ursule Mirouët exécute la symphonie en la mineur de Beethoven au piano afin de faire fuir les héritiers qui ont investi la maison de son tuteur. La musique a pour effet magique de l’envelopper dans une sphère morale supérieure qui la soustrait à la promiscuité du vulgaire comme le prêtre chasse les démons par l’exercice de son sacerdoce. "Plus la musique est belle, moins les ignorants la goûtent". Cet art permet la plus directe expression de l’âme, l’interprète d’un morceau à autant d’importance que son auteur. "Il existe en toute musique, outre la pensée du compositeur, l’âme de l’exécutant qui, par un privilège acquis seulement par cet art, peut donner du sens et de la poésie à des phrases sans grande valeur". "Savinien pénétra donc dans ce délicieux royaume, entraîné par le coeur qui pour s’interpréter lui-même, empruntait la puissance du seul art qui parle à la pensée par la pensée même, sans le secours de la parole, des couleurs ou de la forme". De même dans "Gambara", le musicien maudit est isolé du vulgaire par l’élévation de son génie. "Gambara connaissait tous les convives, il se sentait placé dans une sphère si supérieure qu’il ne prenait plus la peine de repousser leurs attaques, il ne répondit point". "Le chef d’oeuvre inconnu" met dans les paroles du peintre Frenhofer cette théorisation de l’art à laquelle s’emploie Balzac. Comme Louis Lambert, le peintre est épuisé par la trop grande richesse de son monde intérieur, il ne parvient pas à couler dans la forme ce qui participe de l’archétype et ne relève que du langage de l’esprit. Comme le philosophe, il sombre dans la folie devant l’insoutenable majesté de l’idéal féminin. L’artiste veut créer la nature ; non pas l’imiter mais la créer, il lui faut atteindre la quintessence dans la forme. "La mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer !" "Vous avez l’apparence de la vie, mais vous n’exprimez pas son trop plein qui déborde, ce je ne sais quoi qui est l’âme peut être, et qui flotte nuageusement sur l’enveloppe". L’art est donc une voie et s’adresse aux initiés. Poussin, que Balzac met en scène dans cette nouvelle ne sait pas découvrir, jeune néophyte qu’il est encore, les imperfections du tableau de Porbus. Voici la réponse que lui fait Frenhofer : "Je vois que l’on peut parler peinture devant toi. Je ne te blâme pas d’avoir admiré la Sainte de Porbus. C’est un chef-d’oeuvre pour tout le monde et les initiés aux plus profondes arcanes de l’art peuvent seuls découvrir en quoi elle pèche". C’est un discours de Maître à un disciple. L’art de faire d’un tableau une oeuvre vivante est un secret. Mabuse, le Maître de Frenhofer était possesseur de ce secret. Dans l’atelier du Maître règne une atmosphère de mystère et le jeune Poussin est dévoré de curiosité tout autant que le sera Godefroy au contact des "Frères de la Consolation". "Il s’approche de celui-ci comme pour lui demander le nom de leur hôte ; mais le peintre se mit un doigt sur les lèvres d’un air de mystère et le jeune homme, vivement intéressé, garda le silence, espérant que tôt ou tard, quelque mot lui permettrait de deviner le nom de son hôte dont la richesse et le talent étaient suffisamment attestés par le respect que Porbus lui témoignait et par les merveilles entassées dans cette salle". Dans son désir de créer, l’artiste s’identifie au Créateur, mais il veut agir indépendamment, l’orgueil le conduit à la folie. Mabuse avait créé Adam, le disciple ira plus loin avec la Belle Noiseuse. La Belle Noiseuse est l’écueil et le dépassement du peintre comme Mademoiselle de Villenoix pour Lambert . Frenhofer s’identifie au démiurge, il critique l’Adam de Mabuse, selon lui il manque de ce quelque chose de divin du seul homme qui sortit immédiatement des mains de Dieu. L’artiste, en rédempteur de la matière, rêve de la création parfaite telle qu’elle était possible avant la chute, l’art ne peut vouloir imiter la nature, mais retrouver une nature vivante régénérée. Comme l’alchimiste ne conduit ses opérations que pour se régénérer, se transformer en lui-même, l’artiste projette dans sa création une image idéale qui finit par l’investir lui-même. Poussin observe le peintre qui est tombé en conversation avec son esprit. Il assiste à une véritable transfiguration. "Ce vieillard aux yeux blancs, attentif et stupide, lui apparut comme un génie fantastique qui vivait dans une sphère inconnue. Il réveillait mille idées confuses en l’âme. Le phénomène moral de cette espèce de fascination ne peut pas plus se définir qu’on ne peut traduire l’émotion excitée par un chant qui rappelle la patrie au coeur de l’exilé". Le tableau que le peintre, dans sa folie, a surchargé au point de recouvrir son chef-d’oeuvre, laisse apparaître un pied, une image de beauté et de perfection. Néanmoins, la partie représente le tout, le pied est tout le corps . C’est le corps glorifié, la matière sur laquelle l’artiste se penche avec humilité et adoration. Le pied a, bien entendu, une valeur érotique. Il symbolise la sublimation fétichiste du corps qui confine à l’adoration dévotionnelle. Gambara aussi utilise son art, la musique, pour transposer dans son opéra, "Mahomet" sa relation avec sa femme. Le portrait grotesque et humiliant de cette folie qui guette le génie donne à penser que Balzac exorcise en lui les chimères philosophiques et spiritualistes qui, par l’abus des forces intellectuelles et spirituelles s’opposent au raisonnable bonheur terrestre. Le génie se perd dans la folie, mais cette utile décision seule lui permet de percevoir l’illusion du monde et d’aborder la vraie réalité sur le rivage de l’inconnu. L’illuminé qui perçoit l’envers du décor, souvent ne sait pas transformer le monde pour le rapprocher de sa vision. L’art vraiment illuminé peut-être est-il à naître avec un monde où le verbe se fera chair. La musique est l’art par excellence ou cette transformation peut se produire puisqu’elle est recherche de cette Parole Perdue, clé de tout pouvoir sur la matière. "La musique, de même que la peinture, emploie des corps qui ont la faculté de dégager telle ou telle propriété de la substance pour en composer des tableaux, dit Gambara. La musique, comme l’alchimie, veut atteindre la substance au coeur de la matière". Pour Gambara, la musique est une science et un art. La mélodie touche à l’âme par l’inspiration. L’harmonie se réfère aux lois physiques et mathématiques. Comme Louis Lambert, Gambara recherche une science des vibrations, des nombres, qui permettrait de tirer toutes choses de la substance éthérée dans l’air. "Vous ne voyez que ce la peinture vous montre, vous n’entendez que ce le poète vous dit, la musique va bien au-delà : ne forme-t’elle pas votre pensée, ne réveille-t’elle pas les souvenirs engourdis ?". Le drame et l’impuissance de Gambara proviennent de ce qu’il ne met pas en application sa théorie. Sa raison empêche l’expression de son génie qui ne se libère que lorsque le comte Andréa Marcosini le fait boire à perdre la raison. Paradoxalement, il cesse alors vraiment d’être fou et peut faire entendre la musique céleste et angélique au lieu de sa cacophonie habituelle. La musique réconcilie la science et l’art et aussi la religion, si l’on en croit Gambara. "Ici, les gens qui reçoivent des impressions musicales ne les développent pas en eux-mêmes, comme la religion nous enseigne à développer par la prière les textes saints. Il est donc bien difficile de leur faire comprendre qu’il existe dans la nature une musique éternelle, une mélodie suave, une harmonie parfaite, trouvée seulement par les révolutions indépendantes de la volonté divine, comme les passions le sont de la volonté des hommes". Dans l’impossibilité de manifester le Verbe Céleste, Gambara reste dans un mutisme comparable à celui de Lambert. [1] Comme Lambert, il est aussi soumis à la tentation démoniaque,. C’est ce qu’il explique à Andréa en commentant "Robert le Diable", l’opéra de Meyerbeer. "Si vous n’avez pas éprouvé dans votre vie les vigoureuses atteintes d’un esprit mauvais qui dérange le but que vous visez, qui donne une fin triste aux plus belles espérances, en un mot, si vous n’avez jamais aperçu la queue du diable frétillant en ce monde, l’opéra de Robert sera pour vous ce qu’est l’Apocalypse pour ceux qui croient que tout est fini avec eux. Malheureux et persécuté, vous comprenez le génie du Mal, ce grand singe qui détruit à tout moment l’oeuvre de Dieu." L’homme de désir doit éprouver pleinement la dualité avant de connaître l’Unité. Cette dualité se manifeste aussi et surtout à travers le sexe et l’amour. La recherche de l’Union parfaite est un couronnement de tous les efforts menés dans la science, l’art et la religion. Ursule Mirouët est à cet égard le roman du meilleur accomplissement. |
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[1] Quelle référence symbolique constitue pour Balzac le mot noix ? l’oeuf cosmique, la pierre philosophale ? Nous remarquons la belle noiseuse, Pauline de Villenoix ! |
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