L’écueil de Lambert, Frenhofer, Gambara, Claës, c’est justement la femme, preuve que la clé de la sublimation alchimique leur manquait. Gambara finit par retrouver sa femme qui revient à lui à la fin du récit. Ils rencontrent alors Massimilla, la princesse italienne et son amant (platonique) Emilio Memmi.
"Chargeons-nous d’eux ? demanda la princesse à Emilio, car cet homme est resté fidèle à l’idéal que nous avons tué". Pour ce couple, l’extase mystique a été tuée par l’accomplissement charnel, le génie se détruit à cause de son impuissance à l’union charnelle.
Dans Massimilla Doni, il y a la même réflexion sur la musique que nous trouvons dans Gambara, avec cette différence que le thème du couple et de l’amour est mis en parallèle. L’amour va au-delà de la science, de la peinture, de la musique et rejoint la plus pure inspiration religieuse. Massimilla est très pieuse et ignore la volupté terrestre. La femme ange trouve son contraire dans la cantatrice Tinti, la femme sensuelle recueillie et protégée par le vieux duc de Caetano, mari de Massimilla, et par qui Emilio est séduit également. Emilio Memmi est déchiré entre ces deux amours (l’amour spirituel et l’amour charnel) comme l’est Félix de Vandenesse entre Henriette de Mortsauf et Lady Dudley. Massimilla qui craint de perdre son coeur accepte la machination bienveillante du médecin français qui veut sauver Emilio de sa folie, la réalité chasse alors l’idéal une fois que l’amour est consommé par les amants, il se noie dans les larmes de la future femme d’Emilio. Le thème de la folie est, dans cette nouvelle, analysé avec une grande clarté.
Le ténor Genovèse, amoureux de la Tinti, met en colère le parterre car ses répliques à la cantatrice sont une cacophonie. Il ressent ce qu’il ne devrait que jouer et tout est donc faussé sans qu’il s’en aperçoive, il croit chanter une mélodie céleste.
Au contraire quand, en dehors du spectacle, ses amis lui reprochent sa mauvaise prestation, il relève le défi et les gratifie d’un sublime chant céleste. "Cette simple et naïve mélodie en pénétrant les sens intérieurs, y apportait la lumière".
Capraja en donne l’explication au médecin.
"Quand un artiste a le malheur d’être plein de la passion qu’il veut extrême, il ne saurait la peindre car il est la chose même au lieu d’être l’image".
Le cas de Genovese est comparable à celui de Gambara, rendu lucide par l’ivresse. La folie est la fatalité des êtres d’exception qui ne peuvent se résoudre au compromis de l’illusoire extériorité. Vendramin, l’ami d’Emilio, est opiomane. Chacun est fou à sa manière, à cause de la science, de l’art, de l’amour, de l’opium, mais cette folie est pour chacun le moyen de marcher vers une autre réalité.
"Ces deux hommes appartiennent à la Légion des esprits purs qui peuvent se dépouiller ici bas de leurs larves de chair et qui savent voltiger à cheval sur le corps des sorcières dans les creux d’azur où se déploient les sublimes merveilles de la vie morale : ils sont dans l’art là où te conduit ton extrême amour, là où me mène l’opium. Moi de qui l’âme est exaltée par un triste moyen, moi qui fais tenir cent ans d’existence en une seule nuit, je puis entendre ces grands esprits quand ils parlent du pays magnifique appelé le pays des chimères par ceux qui se nomment sages, appelé pays des réalités par nous autres qu’on nomme fous".
Si cette folie est la nostalgie de l’état originel de l’homme, peut-être comme Vendramin, ne faut-il pas guérir. Contrairement à Genovese et Emilio, le docteur ne parvient pas à le ramener au "bonheur" terrestre. "L’amour d’une patrie qui n’existe plus est une passion sans remède" commente le narrateur.
Vendramin, du reste, s’explique très bien la folie métaphysique qui les hante. Il cherche à dissuader son ami du suicide.
"Es-tu bête ! reprit Vendramin, mais non, tu es fou, car la folie, cette crise que nous méprisons, est le souvenir d’un état antérieur qui trouble notre forme actuelle".
Celui en qui a germé l’idéal peut difficilement faire retour en arrière. "Nous devons être ou sur terre ou dans le ciel. Reste dans le ciel, tu seras toujours trop tôt sur la terre".
Le médecin s’est donné pour mission dans cette Italie vénitienne idéaliste et passionnée, de défendre la réalité terrestre en bon rationaliste français. Cependant, il se demande s’il a bien fait de guérir Emilio et si cette normalisation ne les prépare pas, lui et Massimilla, à un futur grand désespoir, à une profonde désillusion.
Les réflexions qu’il fait à Vendramin ne sont pas celles d’un médecin matérialiste.
"Il possédait une divinité, le malheureux veut en faire une femelle ! Je vous le dis, Monsieur, il abdique le ciel, je ne réponds pas que plus tard il ne meure de désespoir".
Dans cette nouvelle donc, Balzac trace une figure de la femme initiatrice. Il se fait l’émule de Dante avec Béatrix : "Oui, Béatrix, cette figure idéale, la reine des fantaisies du poète, élue entre toutes, consacrée par les larmes, déifiée par le souvenir, sans cesse rajeunie par les désirs exaucés".
Dans son amour platonique pour Emilio, Massimilla a pensé que son amant est au-dessus des expressions amoureuses autant que la cause est supérieure à l’effet. Cet amour est le reflet de l’amour cosmique entre le Père céleste et la Reine du ciel. Dans cet amour chaste, la femme est identifiée à SOPHIA, la seule avec qui, dit Louis Claude de Saint-Martin, l’homme de désir doit chercher à s’unir.
Un amour comme celui de Louis Lambert et Pauline de Villenoix dépasse toute forme de communication ordinaire, entre Emilio et Massimilla, il dépasse même cette forme de langage suprême qu’est la musique.
"Leur pensée développait ce baiser comme un musicien développe un thème par les modes infinis de la musique et il produisait en eux des retentissements tumultueux, ondoyants, qui les enfièvraient".
"Massimilla devenait une de ces vierges célestes entrevues dans les rêves que le chant du coq fait disparaître mais que vous reconnaissez au sein de leur sphère lumineuse dans quelques oeuvres des glorieux peintres du ciel".
Je me suis souvent demandé si Michel Foucault était la réincarnation d’Erasme.
Mais Balzac ne fait pas l’éloge de la Folie.Elle est pour lui l’indicible ,le manque absolu de l’amour et la blessure mortelle infligée à l’éternel féminin.Ajoutons à votre étude celle de Jan-Luc Martine sur la nouvelle de Balzac "Adieu" qui met en scène la folie d’une contesse Stépahnie ayant laissé sa raison dans les dégats collatéraux de la retraire de Russie sur la Bérézina. Nous pouvons aussi y voir les névroses non seulement de Balzac mais aussi la genèse de celles de l’autre grand romantique,Nerval. http://www.etudes-episteme.org/ee/file/num_13/ee_13_art_martine.pdf
"Le romantisme de Balzac semble renouer avec les
intuitions profondes de la folie renaissante : la Bérézina est un cosmos rendu au
chaos. Mais ce n’est plus une folie vraiment cosmologique, c’est la traduction en
termes cosmiques d’une folie historico politique, d’un égarement profond du sens
de l’Histoire ; la Bérézina signifie la fin d’un monde, la fin d’un âge.
Pourquoi pas ! Mais M. Foucault sur la ligne libéral/ libertaire s’il est un esprit typiquement moderne ne saurait satisfaire les aspirations philosophiques d’un Martiniste. A mes yeux les seuls et derniers vrais penseurs proches de notre époque porteurs de la palme sont deux génies d’origine juive qui ont été sur le point de se convertir au Catholicisme : je veux parler de Bergson et de Simone Weil.D’autres ont eu des mérites sans être des visionnaires et beaucoup ont fourni des efforts intellectuels assez vains quand ce n’est pas pire.
Le diagnostique de l’état de la philosophie européenne a été posé de la façon la plus juste qui soit par Sri Aurobindo dans son livre : "De la Grèce à l’Inde." Merci d’avoir exhumé" Adieu" cette nouvelle peu connue de "La Comédie Humaine".L’étude de Jean-Luc Martine est impressionnante ! Que dire de plus ? Si ce n’est ce simple commentaire au sujet de son titre :La conception Martiniste de la Littérature est celle de textes non point qui tuent mais qui guérissent et même... allez soyons fous, des textes qui sauvent.
Cher El Pélégrino, vous êtes un Jacques mais aussi Troubadour.Merci pour cette Ballade aux Baladins car votre marche en compagnie de Dame Nature s’émancipe et devient danse.
J’ai vu ! pas d’intervention sur cet article ! et pourtant ! Dans cette Rencontre spirituelle de l’Homme et de la Femme réside sans doute tout le secret de Vie émanant du Créateur Lui-Même et en même temps, celui de la Réintégration et Gustav Meyrink ne s’y est pas trompé lorsque dans son ouvrage "le Visage Vert" il fait dire à Sephardi "Mais si un homme réussit à franchir le "pont de vie" c’est un bonheur pour le monde. C’est presque plus que si un sauveur lui était envoyé. Mais une chose est nécessaire ; un seul ne peut y réussir, il a besoin pour cela .. d’une compagne et d’une force féminine. C’est là le sens secret du mariage que l’humanité a perdu depuis des millénaires...."
Ainsi, sans doute l’humain et le surhumain peuvent se rencontrer dans un même élan vers Dieu . La folie de l’homme se transforme en folie de Dieu.
Ne pas faire d’une femelle la divinité, là est sans doute une Clé qui ouvre la porte de l’évolution. La Femme porte en elle la réponse, qu’elle-même ignore hélas, même si elle la pressent ! et cette réponse ne peut lui être à elle-même révélée que par cet "autre" en face d’elle dont la conscience se sera révélée.
N’hésitons pas à croire que Cela existe.
Vous avez fait le choix de Jeanne Germain la seconde épouse de René Schwaller, Aor, adoubé par le poète Miloz suivant les rites de l’ancienne chevalerie Templière, avec ce nom magique Isha.Oui Meyrink est un grand tantrique, comme Balzac, comme Dante.J’aimerais faire une étude sur ces 5 romans comme sur ceux de Balzac.Et vous vous me ramenez aux travaux qui furent dans la maison de Balzacdans les années 1920 avec le groupe des Veilleurs.
Il faut lire ou relire l’étude d’Alexandra Charbonnier "Miloz l’étoile au front".
Vous savez peut être que le nom de Lubicz vient de Miloz. Si Isha est un songe, quel songe parce que quel nom ! J’ai critiqué "vertement" sur ce site le livre d’une Alexandra, contempteur de la pensée d’Eliade mais pour celle-ci, ayant mis sa plume au service de la tradition : louanges ! Vous aurez du bonheur à lire son livre. En ce qui concerne une étude sur Meyrink, il me faudrait beaucoup de temps, mais je vais y penser sérieusement. Il faudrait surtout que je trouve des choses qui n’ont pas été dites déjà par d’autres, ce qui n’est pas actuellement le cas.