Au commencement, l’homme virginal Adam Kadmon n’était ni homme ni femme. Il n’était pas non plus la réunion des deux, l’androgyne n’est pas l’hermaphrodite. L’état de l’homme virginal précède la séparation des sexes, conséquence de la chute.
Cet être humain d’avant la chute est l’archétype conçu dans la pensée de Dieu. Homme éternel.
Cette émanation de la pensée de Dieu est l’Eternelle Sagesse SOPHIA. La Sagesse est le corps de Dieu Absolu et Inconnu, sa Manifestation. C’est aussi la forme humaine parfaite telle qu’elle a été conçue à l’origine quand le Dieu Inconnu est sorti de sa solitude infinie. Dieu ne peut être connu qu’à travers son image, la Sagesse.
La cosmogonie hindoue explique parallèlement que lorsque le Dieu Brahman se manifeste, il devient Ishwara, le Seigneur, l’Etre et Shakti, l’Energie, le Mouvement et le Devenir.
De même, le Dieu de Boehme est un Dieu en Devenir dans la mesure où il se manifeste.
La manifestation suppose dualité, Dieu se regarde dans sa création et prend conscience de lui-même en devenant Créateur et Créature.
Pour se manifester, le Dieu prend un corps, le corps de SOPHIA qui est la Nature Primordiale, c’est l’âme universelle qui est la mère de toutes les âmes individuelles. En vérité, il n’y a qu’une seule âme collective.
La perfection qui veut manifester le Créateur se vêt d’un corps, l’élément-matière pure et pur véhicule de l’âme.
Dans le monde céleste, qui est le premier monde émané avec la création des anges, elle crée les corps célestes.
Ces corps ont été créés par une dualité, préfigurant celle des sexes, de deux contraires qui d’abord se sont affrontés et ensuite unis, toute création supposant la rupture de l’unité primordiale. Lucifer quitte la sagesse qui est l’union des contraires. Il perd son corps glorieux et se trouve projeté dans la matière. Il devient le Prince de ce monde.
Dans le monde matériel, l’élément perd son caractère d’unicité et obéit à la loi quaternaire pour donner les quatre éléments que nous connaissons. Le 4 est le symbole de la loi de la matière. Dieu doit manifester la pleine expression de son image à travers l’homme dont les anges préfiguraient la réalisation.
La sagesse prend la forme de l’homme terrestre. L’Adam Primordial manifeste une perfection plus grande que les anges, car il est à la fois céleste et homme terrestre.
L’ange est soit totalement céleste dans un corps de lumière, soit désincarné et à la recherche d’une incarnation possible dans la matière s’il a chuté, comme c’est le cas de Lucifer.
Les anges furent créés à l’issue d’une émanation septénaire dans la matière primordiale qui a vu se succéder les forces du feu obscur -le feu dévorant, la colère de Dieu- et les forces de la lumière symbolisée par Vénus, lumière qui est l’Amour de Dieu. Aussi, la création divine est la transmutation du feu en lumière, de la colère à l’amour. Le feu et l’eau ont donné naissance à la lumière, c’est une transmutation.
Lucifer qui veut forcer la création divine déchaîne les ténèbres emprisonnées dans son corps de lumière, il ne connaît alors que les ténèbres, de même qu’avant il ne connaissait que la lumière. Car c’est à l’homme de manifester la perfection par sa connaissance simultanée du bien et du mal et d’équilibrer les polarités. C’est pourquoi il naît homme terrestre et homme céleste, mais aussi homme et femme.
C’est pourquoi l’homme est "androgyne" dans son corps glorieux mais dès qu’il est créé dans la matière, il devient homme et femme.
Cette vision de Boehme élude-t-elle totalement l’interprétation exotérique de la chute de l’homme avec le péché originel, la connaissance du bien et du mal étant considérée comme le processus de dévoilement de Dieu à travers Sa créature dans Sa manifestation matérielle ? Pas totalement, car le libre arbitre laissé à sa créature ne rendait pas la chute de Lucifer inéluctable. De même, l’homme conserve sa propre responsabilité dans la condition qui lui est attribuée et a très bien pu, par sa faute, se couper des mondes spirituels qui devaient le guider dans son exil au sein de la matérialité. A cet égard, la doctrine de Martinez de Pasqually est plus explicite qui assure que l’homme avait une mission de régénération du monde matériel et qui explique comment la chute de Lucifer a dégradé la manifestation matérielle, et comment l’homme lui-même a été entraîné par le tentateur.
L’originalité de la pensée de Boehme réside surtout dans le fait que Dieu ne peut se manifester dans sa perfection que par l’intervention de ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire le mal, qui est une condition tragique mais pourtant irréelle que sa créature doit rencontrer. Le péché de l’homme pour Boehme, c’est le rêve. Sa chute, c’est de rêver qu’il n’est pas Dieu. Nous retrouvons ici la notion hindouiste de Maya. Alors, quand il se réveillera, peut-être se verra-t’il Androgyne ? La seule chose qu’il ait à faire, comme dit Louis-Claude de Saint Martin, c’est de s’unir à la divine SOPHIA, la Sagesse. Et de réaliser la maxime nationale de nos cousins du Québec : "Je me souviens".
Alors peut-être naîtra-t-il dans un corps nouveau, lumineux et immortel, à l’image de la perfection divine.
"Pour la première fois, de bonne heure le matin, je me suis vue : mon corps. Je ne sais pas si c’est le corps supramental ou (comment dire ?) son corps de transition, mais j’avais un corps tout à fait nouveau en ce sens qu’il était insexué : ce n’était pas une femme et ce n’était pas un homme".(L’agenda de Mère. 24 mars 1972.)
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